Commode : L’Empereur Gladiateur de Rome

Commode, fils de Marc Aurèle, régna sur l’Empire romain de 180 à 192 apr. J.-C. Son règne marque la fin de l’âge d’or des Antonins et le début du déclin de Rome, menant à la crise du IIIᵉ siècle.

Commode L'Empereur Gladiateur de Rome

« Notre histoire descend maintenant d’un royaume d’or à un royaume de fer et de rouille. » Avec cette métaphore métallurgique particulièrement marquante, l’historien Dion Cassius a formulé une vision de l’histoire romaine qui s’est avérée particulièrement difficile à remettre en question. La raison de cette dégénérescence, affirmait l’historien, était la mort de Marc Aurèle, parangon du gouvernement impérial, et le transfert du pouvoir impérial à son fils, Commode.

L’âge d’or de l’Empire touchait à sa fin, et, avec une ironie cruelle, il était mené à sa perte par un homme si vaniteux et convaincu de sa propre divinité qu’il saupoudrait de la poussière d’or dans ses cheveux pour éblouir tous ceux qui le regardaient.

L’Histoire considère Commode comme l’un des pires empereurs romains, rejoignant les rangs infâmes de Caligula, Néron, Domitien et Héliogabale ou Élagabal. Les historiens qui ont décrit son règne dressent un portrait vivant d’un homme incarnant une multitude de vices : cruel et capricieux, négligé et sensuel. Mais, comme le précisent ses contemporains, il n’est pas né ainsi. L’histoire de Commode est donc celle d’un homme tombé de sommets exaltés.

Le prince pourpre : les premières années de l’empereur Commode

Commode
Commode. Source : Wikimedia.

L’ascension et la chute de Commode commencent à la fin de l’été de l’an 161 apr. J.-C. Le futur empereur n’est pas né à Rome, mais à Lanuvium, tout comme Antonin le Pieux, un autre illustre prédécesseur impérial auquel l’Histoire le comparerait.

Il était le fils de Marc Aurèle et de Faustine la Jeune. Non seulement Faustine était l’épouse de Marc Aurèle, mais elle était aussi sa cousine ainsi que la plus jeune fille d’Antonin ; les liens de la dynastie impériale étaient souvent complexes. Commode naquit donc au cœur du pouvoir impérial du IIᵉ siècle. À sa naissance, Commode était en réalité le plus jeune d’un couple de jumeaux. Malheureusement, une tragédie frappa la famille impériale en 165 lorsque Titus, son frère aîné, mourut, laissant Commode comme seul fils de Marc Aurèle et son héritier.

Comme son père avant lui, Commode bénéficia d’une éducation exemplaire de l’aristocratie romaine, axée sur la formation d’un enfant destiné à gouverner l’Empire. À la cour impériale de Rome, il aurait rencontré le médecin de cour Galien, l’un des praticiens médicaux les plus influents de l’Antiquité.

Dans une tentative d’annoncer les dépravations à venir, certaines sources postérieures, en particulier la divertissante mais historiquement douteuse Historia Augusta, s’efforcent de dépeindre la jeunesse de Commode comme une période où ses premiers penchants étaient déjà évidents.

Une anecdote macabre raconte que, lorsqu’il avait 12 ans, Commode fut tellement furieux qu’un bain lui ait été servi tiède qu’il ordonna que l’esclave chargé de le préparer soit jeté dans les fours. La vie du malheureux serviteur ne fut épargnée que grâce à l’ingéniosité d’un autre esclave, qui jeta une peau de mouton dans le four à la place. L’odeur nauséabonde de la fumée convainquit le futur empereur que le crime du bain pas assez chaud avait été suffisamment vengé…

Père et fils : la co-régence avec Marc Aurèle

Marc Aurèle
Buste de Marc Aurèle, âgé, cuirassé. Musée Saint-Raymond, Toulouse (Inv. Ra 61 b). Source : Wikimedia.

Ayant déjà perdu un fils, Marc Aurèle tenait à garantir une succession impériale sans ambiguïté. Il prit donc plusieurs mesures pour s’assurer que le peuple de Rome, ainsi que les armées des provinces, reconnaissent son héritier.

Dès l’an 172 apr. J.-C., alors qu’il n’avait que 11 ans, Commode accompagna son père en campagne à Carnuntum (dans l’est de l’Autriche actuelle). Cette ville servait de quartier général à l’empereur pendant la guerre marcomannique, alors qu’il luttait contre les incursions de plusieurs tribus germaniques. En octobre de cette année-là, Commode reçut le titre de Germanicus aux côtés de son père. Son rôle de chef militaire et de commandant triomphal romain était ainsi déjà en train de se dessiner.

Ces mesures ne furent cependant pas jugées suffisantes. Au printemps 175, l’un des généraux les plus fidèles de Marc Aurèle, Avidius Cassius, se révolta. Ayant entendu une rumeur selon laquelle Marc Aurèle serait mort en campagne (sa mauvaise santé était bien connue), Cassius, préoccupé par la stabilité de l’Empire, se déclara empereur depuis la province de Syrie, dont il était gouverneur.

Les provinces de Judée et d’Égypte lui prêtèrent immédiatement allégeance. Malgré l’annonce du fait que Marc Aurèle était toujours en vie, la rébellion se poursuivit, bien que s’essoufflant rapidement. Avant même que l’empereur ne puisse intervenir, Cassius fut assassiné par un de ses proches. Marc Aurèle aurait pleuré en apprenant la mort de son ancien ami.

Pour apaiser toute agitation persistante, Marc Aurèle s’assura que la question de la succession soit tranchée de manière définitive. Le rôle public de Commode dans l’administration de l’Empire, en tant que collègue de son père dans le pouvoir, fut rendu de plus en plus visible, notamment sur les pièces de monnaie.

Ses titres évoluèrent rapidement pour refléter l’engagement de Marc Aurèle à garantir la transmission du pouvoir à son fils : en 176, Commode fut reconnu comme Imperator, et en 177, comme Augustus, confirmant que le gouvernement de l’Empire était désormais partagé entre père et fils.

L’Empire en guerre : Germanie, Dacie, Bretagne

Commode vers 170-175 après J.-C.
Commode vers 170-175 après J.-C.

Marc Aurèle mourut en mars 180 apr. J.-C., dans la ville de Vindobona (Vienne actuelle), alors qu’il supervisait les campagnes militaires des Romains sur la frontière danubienne. Bien que l’historien Dion Cassius rapporte que Marc Aurèle était déçu de son fils et de ses capacités à gouverner, il avait néanmoins réussi à assurer une transition en douceur.

Commode devint seul empereur en 180, soutenu par l’armée stationnée à la frontière. Il comprenait bien la portée symbolique de son avènement : c’était la première fois depuis le règne de Titus, fils de Vespasien, que l’Empire passait à un fils biologique, et la toute première fois qu’il était transmis à un enfant élevé dès sa naissance pour régner. Dans un discours rapporté (et probablement inventé) par l’historien Hérodien, Commode souligna son caractère exceptionnel devant les soldats et les courtisans réunis à la frontière : « Moi seul suis né pour vous dans le palais impérial… La pourpre m’a accueilli dès ma venue au monde, et le soleil a brillé sur moi, homme et empereur, au même instant. »

Bien que son père soit célébré comme l’incarnation idéale du souverain impérial, il ne fait aucun doute que son règne fut marqué par des guerres incessantes. Son fils, malgré tous ses défauts, n’avait aucun goût pour la guerre.

Toutefois, ses motivations pour rechercher la paix n’étaient guère louables… Les historiens s’accordent à dire que Commode perdit rapidement tout intérêt pour poursuivre les campagnes de son père, influencé par un entourage de favoris et de courtisans flatteurs qui l’encouragèrent à retourner aux plaisirs de Rome.

Néanmoins, plusieurs troubles éclatèrent dans l’Empire, nécessitant une intervention, d’abord en Dacie (l’actuelle Roumanie, conquise par Trajan), puis en Bretagne.

Les campagnes en Dacie en 183 permirent à deux futurs prétendants au trône impérial, Clodius Albinus et Pescennius Niger, de se distinguer. Cependant, aucun des deux ne parviendrait à vaincre Septime Sévère lorsque l’heure de la confrontation viendrait…

Commode et les conspirations

Portrait de Commode en Hercule
Portrait de Commode en Hercule. Source : Wikimedia.

La réduction des conflits aux frontières de l’Empire ne s’accompagna pas d’une paix intérieure. Dès le début de son règne, Commode dut faire face à des luttes politiques et à plusieurs tentatives de complots. Dès 182 apr. J.-C., sa sœur aînée, Lucilla (qui portait le titre d’Augusta en tant que veuve de Lucius Verus), tenta d’orchestrer un soulèvement contre l’empereur avec la complicité de plusieurs sénateurs influents.

Le plan consistait à assassiner Commode alors qu’il assistait à une représentation théâtrale. Mais, comme un méchant de film trop bavard, l’assassin éventa son propre guet-apens en annonçant son geste à voix haute. Il aurait crié : « Regarde ! Voilà ce que t’envoie le Sénat ! » tout en brandissant son poignard.

Les gardes du corps de Commode maîtrisèrent aussitôt l’assaillant, et le complot échoua. Cet événement empoisonna à jamais les relations entre l’empereur et le Sénat. Désormais, tous les hommes influents de Rome étaient suspectés de trahison et souvent éliminés, qu’ils aient été réellement fidèles ou non. Ce fut le sort des frères Quintilii, deux figures cultivées de l’aristocratie romaine, dont la somptueuse villa située sur la Via Appia, au sud-est de Rome, fut confisquée par l’empereur.

Les purges qui s’ensuivirent à Rome permirent à de nouveaux hommes d’accéder aux cercles du pouvoir autour de Commode. Parmi eux, le plus célèbre fut le libertus Cléandre, qui devint commandant des prétoriens, la garde impériale. Cléandre usa de son influence pour centraliser le pouvoir entre ses mains et se livra à la vente de charges publiques et de commandements militaires au plus offrant. Toutefois, il finit par succomber à la colère populaire. En 190, une grave pénurie de vivres toucha Rome, et le préfet de l’Annone (praefectus annonae), responsable de l’approvisionnement en blé, en attribua la faute à Cléandre.

La tension explosa en pleine course de chars au Circus Maximus, où la révolte des citoyens dégénéra en émeute. Contraint de fuir, Cléandre chercha refuge auprès de Commode, qui séjournait alors à Lanuvium. Mais l’empereur, notoirement versatile, se laissa convaincre par sa maîtresse, Marcia : sur son conseil, il fit exécuter Cléandre ainsi que son fils, tous deux étant décapités.

Hors de Rome, l’agitation dans les provinces septentrionales de Bretagne et de Gaule provoqua des désertions dans l’armée. Cela atteignit un point critique lorsqu’un groupe de soldats mécontents se rallia autour d’un chef charismatique nommé Maternus. Celui-ci fomenta un complot pour assassiner Commode. Bien que finalement infructueuse, cette tentative audacieuse d’éliminer un empereur aussi décrié reste l’un des épisodes les plus captivants de l’histoire romaine.

Caractériser Commode : Empereur romain, Dieu et Gladiateur

Gravure représentant Commode tuant un léopard dans l'arène
Gravure représentant Commode tuant un léopard dans l’arène, attribuée à Adriaen Collaert, 1594-98. Source : Rijksmuseum, Amsterdam

La succession de complots et d’intrigues contre lui, ainsi que l’influence de courtisans douteux, poussèrent Commode à un comportement de plus en plus erratique, à mesure qu’il glissait davantage dans la mégalomanie. L’empereur tomba bien en deçà des standards de comportement établis par son père. Ce qui fit le plus de bruit fut la tendance de Commode pour les combats de gladiateurs. Les sources indiquent clairement que, physiquement, Commode était un homme de grande stature, passionné par les activités physiques, y compris les courses de chevaux et de chars, ainsi que les combats.

En privé, cela n’était ni moqué ni critiqué. Ce qui était jugé inapproprié, c’était lorsque cela débordait dans la sphère publique. Infâme, Commode devint l’empereur gladiateur (rendu célèbre par Joaquin Phoenix dans le film Gladiator de 2000), combattant fréquemment dans l’arène, au grand déshonneur des sénateurs présents. L’empereur était particulièrement connu pour ses chasses aux bêtes, notamment lorsqu’il sauva un criminel condamné des griffes d’un léopard lors d’un combat.

En plus de ses exploits dans l’arène, Commode cultivait une forte association avec le culte d’Hercule. Des empereurs avaient auparavant entretenu de telles relations avec des dieux et des héros (comme Auguste avec Apollon). Cependant, Commode franchit le seuil de l’absurde. L’iconographie de Commode met en évidence de manière constante cette volonté de se présenter comme Hercule. Cette association héroïque et mythologique reliait Commode au Panthéon romain (Hercule étant le fils de Jupiter, le roi des dieux) et alimenta son sentiment de grandeur.

Dion Cassius, l’historien le plus fiable pour le règne de Commode, rapporte même que l’empereur alla jusqu’à se faire nommer « dieu » ! Un incendie qui dévasta la ville en 191 fut, pour Commode, comme pour Néron un siècle plus tôt, une occasion de briller.

Se posant en nouveau Romulus, fondateur de la ville, Commode donna libre cours à ses tendances mégalomanes, rebaptisant la ville Colonia Lucia Annia Commodiana et allant jusqu’à renommer les mois de l’année pour correspondre à ses propres noms (à ce stade, il en avait douze, y compris Commode, Hercule et Invictus).

Afin que personne dans la ville ne puisse ignorer son importance, il fit également remodeler la statue colossale adjacente au Colisée (d’où son nom), initialement érigée par Néron, pour la faire ressembler à lui-même : brandissant un gourdin et se tenant au-dessus d’un lion en bronze, il se présentait ainsi de nouveau comme Hercule.

Mort et disgrâce : l’assassinat impérial

Finalement, les habitants de Rome – et surtout les sénateurs – ne purent plus supporter l’orgueil démesuré de Commode. Sa mégalomanie durait depuis trop longtemps et continuait de menacer leur propre statut (et fréquemment, leurs vies). À la fin de l’année 192, il terminait une nouvelle performance dans l’arène, cette fois pour les Jeux plébéiens, où il massacra des scores d’animaux sauvages et combattit en tant que gladiateur. En un ultime affront à la dignité de la fonction impériale, il annonça que le 1er janvier 193, il inaugurerait l’année à la fois en tant que consul, magistrat en chef, et gladiateur.

Une conspiration dirigée par Laetus et Eclectus, qui impliqua Marcia dans leur complot, chercha à renverser Commode. Même ce complot, comme les précédents, faillit échouer ! La veille du Nouvel An 192, Marcia glissa un poison puissant dans le vin de l’empereur. Cependant, celui-ci vomit le vin, réputé être un effet secondaire de la consommation excessive dans la chaleur de son bain. Ce genre de comportement bruyant était apparemment déjà une habitude pour lui, donc personne ne soupçonna que l’empereur pouvait être en danger…

Ayant vomi le poison que Marcia lui avait administré, les conspirateurs durent envoyer Narcissus, un jeune homme puissant de la cour, dans le bain où Commode, sous les effets du poison, se trouvait, pour l’étrangler. Ce fut une fin infamante pour le fils de ce qui fut peut-être le plus grand empereur de tous, une fin qui ne convenait ni à un dieu ni à un gladiateur. Mais cela ne serait pas la fin de la disgrâce de Commode.

Tellement de dégoût ressentait le sénat après avoir dû endurer les abus et menaces de l’empereur pendant 12 ans, qu’il condamna la mémoire de Commode ; ses images furent détruites et son nom effacé des inscriptions à travers l’empire.

Les sources présentent certains des récits les plus vifs des émotions qui surgirent lors de ces attaques matérielles sur la mémoire, connues aujourd’hui sous le nom de damnatio memoriae. Le décret sénatorial l’ordonnant, tel que rapporté par Dion, est particulièrement choquant : « Jetez le gladiateur dans le charnier. Celui qui a tué le sénat, qu’il soit traîné avec le crochet… Que le meurtrier soit traîné dans la poussière ! »

L’héritage de l’empereur Commode

Septime Sévère
Septime Sévère.

Cela ne serait cependant pas la fin du rôle de Commode dans l’histoire romaine, et il avait encore une fonction importante à remplir. Bien que l’empire soit passé relativement sans heurts sous la garde du vieux sénateur Pertinax, en tant qu’empereur, il perdit le soutien des prétoriens et fut tué quelques mois après sa prise de pouvoir.

Les tentatives de restaurer la stabilité menèrent à une série prolongée de guerres civiles pendant 4 ans. L’ordre ne fut restauré qu’avec l’arrivée à Rome, et la victoire ultime sur ses rivaux, de Septime Sévère, le premier empereur africain de Rome.

Pour légitimer son pouvoir, Sévère fabriqua l’histoire selon laquelle il était le descendant de Marc Aurèle et, par conséquent, le frère de Commode. Pour honorer sa nouvelle famille, l’empereur ordonna que la condamnation de la mémoire de Commode soit levée. Il est donc certain que le nom de Commode réapparut dans les titres de Sévère.

Aujourd’hui, que ce soit sur nos écrans sous les traits d’un gladiateur sanguinaire, ou dans les musées sous la forme d’Hercule, Commode reste, semble-t-il, l’incarnation des vices impériaux. Pendant 13 ans, Rome fut gouvernée par un homme qui avait promis tant de choses, mais qui finalement en livra si peu, un règne qui commença dans la pourpre et l’or et se termina dans le rouge et la rouille.

Le fils du parangon de l’excellence impériale n’avait pas seulement échoué à égaler les standards établis par son père, mais il s’était tellement écarté de ceux-ci qu’il fut vilipendé. Tant était attendu de ce « plus noble des empereurs » que l’homme, sous les attentes, était voué à échouer : « Il tomba sur terre de son propre chef, car il ne pouvait tenir sur ses pieds en suivant les héros. » Il était, après tout, en dessous de tout, simplement un homme.