Marcus Vipsanius Agrippa : Le Bras Droit d’Auguste

Nous connaissons Alexandre le Grand, la reine Élisabeth II, Napoléon, Abraham Lincoln. Pourtant, aucun de ces souverains n’aurait pu atteindre la grandeur sans les personnes œuvrant dans l’ombre : généraux et conseillers qui exécutaient leurs ordres et veillaient à leur succès. Pour Auguste, l’homme qui fonda l’Empire romain, cet allié indispensable fut Marcus Vipsanius Agrippa (63-12 av. J.-C.).

Agrippa n’était pas seulement le plus proche ami et compagnon du premier empereur romain, mais aussi un général, un amiral, un homme politique, un architecte et un administrateur compétent. Il accomplit tout cela sans jamais chercher à être reconnu, rejetant les honneurs et restant concentré sur une seule mission : poser les fondations de l’un des plus grands empires que le monde ait jamais connus.

Les Premières Années de Marcus Agrippa

L’histoire des origines d’Agrippa est peu commune pour quelqu’un qui allait devenir un pilier fondateur de l’Empire romain. Marcus Vipsanius Agrippa naquit en 64/63 av. J.-C. dans une famille plébéienne modeste (mais non pauvre), quelque part dans la campagne italienne. La gens Vipsania était obscure et n’apparaissait qu’à la fin de la République.

Agrippa n’hésita pas à s’en détacher lorsqu’il gravit les échelons de la hiérarchie romaine. Il était du même âge qu’Octave (le futur empereur Auguste), et les deux garçons furent éduqués ensemble sous la supervision de Jules César. Sans le savoir, ces premières années posèrent les bases d’une amitié qui allait bouleverser l’histoire de Rome.

Jules César, grand-oncle d’Octave, reconnut rapidement le potentiel d’Agrippa et l’emmena en Espagne pour participer à une campagne contre les forces menées par le fils de Pompée. En 45 av. J.-C., Agrippa combattit à la bataille décisive de Munda, qui fit de César le maître incontesté de Rome. Après la bataille, César envoya Agrippa et Octave poursuivre leur formation dans une académie à Apollonia, en Illyrie.

Quatre mois plus tard, leur monde bascula. Le 15 mars 44 av. J.-C. (aux Ides de Mars), Jules César fut assassiné à Rome. Ignorant les conseils de sa famille qui lui recommandait de ne pas se mêler des affaires politiques, Octave, accompagné d’Agrippa et d’une petite suite, traversa la mer vers l’Italie. C’est là qu’il apprit que César l’avait adopté comme fils et héritier.

Le jeune homme de 19 ans ne comptait pas rester dans l’ombre. Avec l’aide d’Agrippa, il se lança immédiatement dans la tourmente politique. En acceptant le testament de César, Octave devint l’ennemi des assassins de son grand-oncle, mais aussi le rival de Marc Antoine, l’un des meilleurs généraux de César, qui espérait combler le vide du pouvoir. Grâce au soutien d’Agrippa et à l’héritage de César, Octave rassembla les vétérans et partisans de son père adoptif. Il obtint aussi l’appui du Sénat, qui considérait Antoine comme une menace plus grande encore.

Cependant, la stratégie du Sénat échoua. Après la défaite d’Antoine en 43 av. J.-C., celui-ci forma une alliance avec Octave et Aemilius Lépide, connue sous le nom de Second Triumvirat. Officiellement, leur mission était de restaurer la République romaine, mais son échec aboutit à la fondation de l’Empire.

Le Général et l’Amiral

Lorsqu’ils se rencontrèrent en 43 av. J.-C., les triumvirs se répartirent les territoires sous leur contrôle et décidèrent d’éliminer les meurtriers de César, qui s’étaient retranchés en Méditerranée orientale. Leur premier acte fut de se débarrasser des meneurs.

En 42 av. J.-C., ils vainquirent Brutus et Cassius Longinus à la bataille de Philippes, où Agrippa joua probablement un rôle clé. Après cette victoire, le Triumvirat atteignit son apogée et ses membres devinrent maîtres de la République. Seule la Sicile leur échappait encore. L’île était sous le contrôle de Sextus Pompée, dernier fils survivant de Pompée le Grand.

En 40 av. J.-C., lorsque la flotte de Sextus attaqua l’Italie, c’est Agrippa qui repoussa l’assaut et força l’ennemi à battre en retraite. En 38 av. J.-C., après avoir évité un nouveau conflit entre Octave et Antoine, Agrippa fut envoyé en Gaule transalpine en tant que gouverneur.

C’est en Gaule qu’Agrippa démontra ses compétences de commandant. Cette même année, il écrasa une révolte locale avant de se diriger vers le nord, jusqu’au Rhin, où il combattit les tribus germaniques. Il devint même le deuxième général romain après César à traverser le Rhin.

Rappelé à Rome en 37 av. J.-C., Agrippa refusa les honneurs du triomphe, ne souhaitant pas éclipser son ami Octave. Mais il ne fut pas oublié : encore jeune, il fut personnellement choisi par Octave pour exercer le consulat, la plus haute magistrature républicaine. À moins de 42 ans, âge minimum requis, cette nomination brisait toutes les traditions. Mais Agrippa prouva bientôt qu’elle était méritée. Lorsque la flotte de Sextus Pompée recommença à perturber l’approvisionnement en blé de Rome, Agrippa fut chargé de l’anéantir.

Il était désormais clair qu’Octave n’était pas un grand stratège militaire et qu’il dépendait d’Agrippa pour mener ses campagnes. Et Agrippa ne faillit pas. Après quelques revers initiaux, il fit construire un port secret près de Naples, qu’il nomma Portus Julius, en l’honneur d’Octave. Là, il forma une nouvelle flotte et apporta plusieurs innovations techniques aux navires, notamment l’harpax, une baliste géante lançant des grappins sur les vaisseaux ennemis pour les immobiliser et les aborder.

Grâce à cette technique et à son équipage entraîné, Agrippa anéantit la flotte de Sextus, ne perdant que trois navires tout en détruisant 28 vaisseaux adverses. Cette victoire permit une chute du prix du blé à Rome et propulsa Octave au sommet de sa popularité. En récompense, Agrippa reçut la corona rostrata, une distinction militaire unique dans l’histoire romaine.

Après cette bataille, Octave évinca Lépide du Triumvirat et devint le maître incontesté de l’Occident méditerranéen. Le conflit avec Marc Antoine était désormais inévitable. En 32 av. J.-C., Octave déclara officiellement la guerre à Antoine et à sa maîtresse Cléopâtre. Un an plus tard, les deux flottes romaines s’affrontèrent lors de la bataille d’Actium, au large des côtes grecques. Une fois encore, le génie militaire d’Agrippa permit la victoire.

Actium fut la dernière bataille de la République romaine. Peu après, Marc Antoine et Cléopâtre mirent fin à leurs jours, et Octave devint l’unique maître de Rome. L’Empire était né.

Construire l’Empire d’Auguste

Après la bataille d’Actium, la Méditerranée devint connue sous le nom de Mare Nostrum (« Notre Mer »), tandis que les légions furent démobilisées ou transférées aux frontières extérieures. C’était le début de deux siècles de paix et de prospérité, également appelés la Pax Romana. Marcus Agrippa joua un rôle crucial dans l’établissement et la consolidation de ces premières années décisives de l’Empire romain.

En 28 av. J.-C., Agrippa servit comme consul aux côtés d’Octave. Un second consulat était inhabituel, et le fait qu’Octave ait voulu partager la plus haute magistrature avec Agrippa témoigne du lien fort entre les deux hommes. La même année, ils assumèrent tous deux le rôle de censeurs, obtenant un pouvoir absolu. Personne ne pouvait contester la décision d’un censeur, et seul un successeur pouvait l’annuler.

En tant que censeurs, Octave et Agrippa prirent le contrôle des finances de l’État, supervisèrent les travaux publics et organisèrent un recensement des citoyens romains et de leurs biens (le premier depuis 71 av. J.-C.).

L’année suivante, Agrippa occupa son troisième consulat aux côtés d’Octave. Cette même année, en 27 av. J.-C., le Sénat conféra à Octave le titre impérial d’Auguste. En tant que consul, Agrippa persuada le Sénat d’accorder à Auguste le contrôle des provinces frontalières et, plus important encore, le commandement des armées dans ces régions. Initialement, cet arrangement était valable pour dix ans, mais il permit finalement à Auguste d’assumer un monopole sur le commandement militaire impérial.

En 23 av. J.-C., Auguste tomba gravement malade et l’on crut qu’il allait mourir. Reconnaissant qu’Agrippa était le seul autre homme capable de maintenir l’Empire uni, Auguste lui remit son anneau sigillaire, le reconnaissant ainsi symboliquement comme son héritier. Ce lien spécial entre les deux hommes éveilla la jalousie du neveu d’Auguste, Marcus Claudius Marcellus. Agrippa, qui ne s’entendait pas avec lui, quitta Rome et se rendit en Orient.

Officiellement, il fut nommé gouverneur de Syrie, mais il envoya un légat gouverner la province à sa place, et pendant les deux années suivantes, il resta sur l’île de Lesbos, dirigeant par procuration. Il semble que cette mission ait eu une portée plus large. Pendant cette période, Agrippa réussit à récupérer les enseignes légionnaires perdues face aux Parthes lors de la défaite de Crassus à Carrhes des années auparavant. Le retour des aigles fut un exploit majeur, et il est très probable qu’Auguste ait confié cette tâche à son homme de confiance.

Durant son séjour en Orient, Marcellus mourut, et à son retour à Rome en 21 av. J.-C., Agrippa épousa Julia, la fille d’Auguste. Agrippa était déjà marié à Marcella, la nièce d’Auguste, mais il intégra ainsi officiellement la famille impériale. Julia était l’unique enfant d’Auguste, et les enfants d’Agrippa deviendraient les héritiers impériaux. Julia donna à Agrippa trois fils ainsi qu’une fille, Agrippina. C’est par cette dernière que ses descendants accéderaient finalement au trône : son petit-fils Caligula, suivi de son arrière-petit-fils Néron.

Agrippa ne resta pas longtemps à Rome. En 20 av. J.-C., il fut de nouveau envoyé en Gaule, où il réprima une nouvelle révolte, réforma le système fiscal et entreprit d’importants travaux routiers. L’année suivante, il fut envoyé en Hispanie, où l’armée romaine subissait de lourdes pertes dans une guerre de guérilla. Ce ne fut pas une campagne facile, mais Agrippa en sortit victorieux.

Après deux siècles de troubles, la péninsule Ibérique fut définitivement pacifiée. Le Sénat romain, à la demande d’Auguste, vota pour lui accorder un triomphe. Une fois encore, il refusa cet honneur.

En 17 av. J.-C., Agrippa fut envoyé gouverner les provinces orientales pour la seconde fois. C’est durant cette période qu’il rencontra le roi Hérode, avec qui il se lia d’amitié. Son administration juste et avisée lui valut le respect et la bienveillance des populations provinciales, notamment des Juifs, un exploit que même les empereurs dits « bons » ne parviendraient pas à égaler. Durant cette période, Agrippa rétablit également le contrôle effectif de Rome sur la péninsule de Crimée.

L’Architecte et le Savant

Sur son lit de mort, Auguste aurait déclaré : « J’ai trouvé Rome en briques et je la laisse en marbre. » C’est Agrippa qui fournit ce marbre, souvent de sa propre initiative. Lorsqu’il n’était pas sur le champ de bataille, Agrippa s’occupait du développement urbain de Rome et de ses provinces. Pendant le Triumvirat, il assuma la charge d’édile, un magistrat chargé de superviser les bâtiments publics et les festivals.

Ce choix était inhabituel, surtout pour un ancien consul et un vainqueur de la flotte de Sextus Pompée. Néanmoins, Agrippa exerça cette fonction avec la même compétence que sur le champ de bataille.

L’origine de la passion d’Agrippa pour les projets architecturaux remonte à son travail sur le Portus Julius, qui deviendra progressivement une importante base navale. À Rome, il agrandit et rénova le réseau d’égouts en déclin, la Cloaca Maxima. Il se lança ensuite dans un projet ambitieux de restauration des grands aqueducs de Rome. Il répara l’aqueduc Marcia (aqua Marcia), le plus long de Rome, et construisit un nouvel aqueduc, l’aqua Julia.

Plus tard, sous l’Empire, il fit bâtir l’aqua Virgo, un aqueduc toujours en service aujourd’hui, qui alimente de nombreuses fontaines romaines, dont la fontaine de Trevi. Pour garantir un accès facile à l’eau potable à tous les habitants de la capitale, Agrippa organisa un réseau de centaines de fontaines. Il est également à l’origine des premiers bains publics de Rome, les Thermae Agrippae, inégalés en taille et en ingénierie avant les thermes de Trajan.

Agrippa est surtout connu pour la construction du Panthéon, probablement le bâtiment romain le mieux conservé au monde. La structure d’origine fut détruite par un incendie et reconstruite par l’empereur Hadrien, qui conserva l’inscription d’origine d’Agrippa sur la façade du monument. Agrippa fut également actif dans les provinces. Jules César avait conquis la Gaule pour Rome, mais c’est Agrippa qui l’urbanisa.

Sur les rives du Rhin, il fonda une ville qui devint Colonia Agrippinensis (l’actuelle Cologne). Il améliora aussi les villes provinciales existantes, construisant théâtres et temples, comme celui de Nîmes. Infatigable, il fit construire un vaste réseau routier en Gaule, connu sous le nom de via Agrippa, d’une longueur de 21 000 km, facilitant ainsi les communications et l’accès à l’ensemble du territoire.

Parmi les hommes les plus voyageurs de son époque, Agrippa cartographia l’imperium sine fine d’Auguste (« l’empire sans fin »). Les relevés géographiques, connus sous les noms de Dimensuratio provinciarum et Orbis terrarum, furent achevés après sa mort par sa sœur et gravés par Auguste sur le sol de la Porticus Vipsania. Cette carte demeura une référence tout au long de l’Antiquité et du Moyen Âge.

Enfin, la mesure du pied romain fut standardisée à cette époque. Ce standard n’était autre que le pied d’Agrippa lui-même. Une mille romaine impériale, encore utilisée dans certaines parties du monde, équivaut à 5 000 pieds agrippiens. Homme aux multiples talents, Agrippa était aussi écrivain. Toutefois, sa biographie et son traité sur la géographie ont malheureusement été perdus.

Une Fin Inattendue

En 18 av. J.-C., Agrippa était empereur dans tout sauf le nom. Auguste fit en sorte que le Sénat accorde à son ami les pouvoirs proconsulaires (maius imperium proconsulare), lui donnant la préséance militaire sur tous les autres commandants d’armée, à l’exception de l’empereur. Il reçut également les pouvoirs tribunitiens (tribunicia potestas), lui permettant de convoquer le Sénat et l’Assemblée du Peuple et d’introduire des lois comme bon lui semblait.

Comme l’empereur, sa personne était également sacrée et immune de poursuites. Le règne conjoint des deux amis proches fut commémoré par des pièces représentant Auguste et Agrippa ensemble, comme le célèbre Dupondius de Nemausus.

Dans la cinquième décennie de sa vie, Marcus Agrippa n’était toujours pas prêt à prendre sa retraite. Lorsque les tribus illyriennes se révoltèrent en 13 av. J.-C., il prit personnellement le commandement des troupes et remporta une nouvelle victoire. Ce devait être sa dernière. À son retour en Italie en 12 av. J.-C., Agrippa tomba malade.

Apprenant la nouvelle de la situation de son ami, Auguste se précipita pour le rejoindre. Mais il était trop tard. Marcus Agrippa mourut dans sa villa. Il n’avait que 51 ans. Auguste prononça l’éloge funèbre de son ami et passa un mois en deuil. Comme dernier honneur à son plus proche ami et compagnon, Auguste enterra Agrippa dans son propre mausolée.

Agrippa : Un Héritage Durable

Si Auguste est considéré comme le plus grand des empereurs romains, alors Marcus Agrippa devrait être l’un des plus grands Romains.

Homme aux multiples talents, Agrippa joua un rôle déterminant dans la construction de l’Empire romain et dans l’assurance de son succès durable. En tant que général et amiral, il assura le trône à Auguste. En tant qu’homme d’État et diplomate, il renforça les fondations de l’empire. En tant qu’architecte et ingénieur, il améliora la vie des citoyens de l’empire. En tant que savant, Agrippa mit en valeur les réalisations impériales aux yeux de tous. Par-dessus tout, il resta un ami proche et fidèle et un compagnon du premier empereur de Rome.

Rejetant triomphe après triomphe, Marcus Agrippa resta un homme humble, refusant d’éclipser Auguste. Et le premier empereur romain récompensa cette loyauté. Agrippa reçut un statut et des pouvoirs seconds seulement à ceux de l’empereur, et régna conjointement avec son ami Auguste pendant un temps. Finalement, il devint membre de la famille impériale.

Même après sa mort précoce, la contribution d’Agrippa continua. Ses fils, Gaius et Lucius, connaîtraient tous deux des morts prématurées, mais sa fille Agrippine épouserait Germanicus, et assurerait la survie de la dynastie julio-claudienne, à travers le petit-fils d’Agrippa, Caligula, et son arrière-petit-fils Néron. Malgré toutes ses réalisations, les historiens antiques ignorèrent largement Marcus Agrippa. Mais l’histoire peut être une chose curieuse.

Si vous vous trouvez à Rome, allez faire un tour au Panthéon et regardez les grandes lettres sur sa façade : M·AGRIPPA·L·F·COS·TERTIVM·FECIT. Une fois que vous traduisez le latin et les abréviations, vous obtenez : « Marcus Agrippa, fils de Lucius, a construit ceci lorsqu’il était consul pour la troisième fois. » Même s’il fut reconstruit et rénové par les empereurs suivants, puis converti en église, le nom d’Agrippa resta le plus important sur le bâtiment. Pour un homme qui fut le principal pilier de l’Empire romain, il n’y a pas de meilleur témoignage que cet édifice monumental au cœur de Rome qui, plus de deux mille ans plus tard, résiste toujours à l’épreuve du temps.

Questions/Réponses sur Marcus Vipsanius Agrippa