Lorsque Auguste adopta son beau-fils Tibère comme héritier, il ne pouvait pas savoir qu’il avait mis sur le trône un homme réticent à occuper cette position de pouvoir. Contrairement à d’autres empereurs comme Caligula ou Commode, Tibère n’était pas né pour être empereur, ce qui expliquait en partie son manque d’ambition pour le pouvoir impérial.
Un Homme Né Hors de l’Empire Impérial
Tibère est né le 16 novembre 42 avant J.-C., à une époque où l’Empire romain n’était pas encore une réalité consolidée. Fils de Tibère Claudius Nero et de Livia Drusilla, Tibère n’était pas directement lié à Jules César ou à Octave (futur Auguste), et sa famille n’était pas destinée à régner. Ce n’est qu’après des changements de loyauté au cours des guerres civiles qu’Auguste, devenu empereur, choisit de l’adopter.
Livia, la mère de Tibère, se retrouva mariée à Auguste, et ses fils furent intégrés dans la maison d’Auguste. Cependant, Tibère et son frère Drusus ne semblaient pas être éduqués pour assumer un jour la position d’empereur, même si Augustus les forma pour servir dans les rôles de sénateurs et de généraux.
Les Choix d’Auguste pour la Succession
Le projet de succession d’Auguste était complexe et évolutif. D’abord, Auguste adopta Marcellus, le fils de sa sœur Octavia, pour en faire son successeur, mais Marcellus mourut prématurément en 23 avant J.-C. Peu après, Agrippa, l’ami fidèle d’Auguste, devint son successeur désigné après avoir épousé Julia, la fille d’Auguste. Toutefois, Agrippa mourut en 12 avant J.-C., laissant Auguste à nouveau sans héritier direct.
Après la mort de Marcellus et Agrippa, Auguste tourna son regard vers ses petits-fils, Gaius et Lucius César, les fils de Julia et d’Agrippa. Ces deux jeunes hommes furent destinés à prendre des responsabilités impériales dès leur plus jeune âge. Cependant, la malchance frappa de nouveau lorsque Lucius mourut d’une maladie en 2 de notre ère et Gaius suivit deux ans plus tard. Ces tragédies laissèrent Auguste sans successeur direct, et il se tourna vers Tibère, son beau-fils.
Tibère, L’Héritier Réticent
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Contrairement à l’ambition frénétique de certains héritiers impériaux, Tibère ne désirait pas vraiment le trône. En effet, il se sentait plus à l’aise loin du centre du pouvoir impérial et préférait la vie militaire à la vie politique de Rome. Il n’avait pas une soif de pouvoir aussi prononcée que celle de ses successeurs ou de ses contemporains. Tibère dut néanmoins accepter la succession imposée par Auguste, un destin qu’il n’avait pas cherché.
Sa réticence à gouverner se traduisit par une série d’actions où il tenta d’échapper à ses obligations impériales, mais son rôle d’héritier, bien que réticent, fit de lui le deuxième empereur de Rome. Son histoire montre que tous les empereurs romains n’étaient pas animés par une soif insatiable de pouvoir, mais plutôt par un sens du devoir, parfois contraint.
L’Adoption de Tibère : L’Héritier Conditionnel
En 4 de notre ère, Auguste, déjà dans la soixantaine, faisait face à une question de succession urgente. Julia et Agrippa avaient un autre fils, Agrippa Posthumus, qu’Auguste adopta. Cependant, il ne semblait pas considérer ce jeune homme de 16 ans comme apte à exercer le même pouvoir et responsabilité que ses frères aînés. Auguste adopta donc aussi le fils de Livia, Tibère, comme héritier plus âgé et expérimenté.
Tibère Comme Héritier : Première Tentative
Auguste n’avait pas ignoré Tibère et son frère cadet Drusus. Dès son jeune âge, Tibère fut propulsé à travers le cursus honorum à une vitesse accélérée, devenant consul pour la première fois en 13 avant J.-C. à l’âge de 29 ans, bien avant l’âge minimum requis. Sa carrière militaire commença en 20 avant J.-C. dans l’Est, aux côtés d’Auguste, où il récupéra les enseignes perdues par Crassus face à l’Empire parthe. Il fut également général en Gaule et le long du Danube, conquérant la Rhétie.
De plus, lorsque Agrippa mourut en 12 avant J.-C., Tibère fut contraint de divorcer de sa première femme, Vispania, fille d’Agrippa, pour épouser Julia, tout comme Marcellus et Agrippa avant lui. Les sources suggèrent que Tibère était profondément malheureux de ce mariage, qu’il n’avait pas souhaité, notamment en raison du comportement débauché de Julia.
Tibère poursuivit ses campagnes le long du Danube et du Rhin, devenant le général romain le plus célèbre de son époque. Après la mort de son frère Drusus en 9 avant J.-C., Tibère fut rappelé à Rome et devint consul à nouveau en 7 avant J.-C., célébrant un triomphe modeste, une rareté à Rome. En 6 avant J.-C., il commença à partager le pouvoir tribunicien avec Auguste et, tout comme Agrippa, il reçut un commandement dans l’Est.
Mais à ce moment-là, tout changea. Plutôt que d’accepter ce commandement oriental, le général de 36 ans annonça sa retraite à Rhodes. Les raisons exactes de cette décision sont floues. Tacite et d’autres suggèrent que c’était en raison des conditions malheureuses de son mariage. Suétone ajoute qu’Auguste supplia Tibère de rester, mais cela semble peu probable.
Auguste, maître dans l’art de la manœuvre politique, avait su établir l’Empire romain. Pourtant, malgré les honneurs et pouvoirs qu’il conféra à Tibère, il ne l’adopta jamais officiellement. En 6 avant J.-C., Auguste semblait déjà placer ses espoirs sur les jeunes Gaius et Lucius, et Suétone rapporte que Tibère avait justifié sa retraite pour « éviter tout soupçon de rivalité avec Gaius et Lucius », désormais adultes.
Un scénario plausible est qu’Auguste avait fait comprendre à Tibère qu’il était destiné à être un simple régent et que Gaius et Lucius étaient les héritiers désignés. Que Tibère et Auguste se soient mis d’accord pour cette retraite ou que Tibère ait décidé de se retirer de manière autoritaire, la décision était prise.
Tibère Comme Héritier : Deuxième Tentative
Lorsque Gaius César mourut en 4 de notre ère, Auguste se retrouva avec peu d’options. Il adopta à la fois le jeune Agrippa Posthumus et Tibère, qui semble être revenu à Rome sous ces nouvelles conditions.
Cependant, même avec cette nouvelle adoption, il devait être clair pour Tibère qu’il n’était pas l’héritier préféré d’Auguste. Une condition de son adoption était qu’il adopte Germanicus, le fils de son frère Drusus et de la nièce d’Auguste, Antonia Mineure, bien que Tibère eût déjà un fils adulte. Cela montrait que Tibère, en 4 de notre ère, était toujours considéré comme un simple régent.
En 6 de notre ère, le nouvel héritier Tibère fut envoyé en Illyrie pour gérer une rébellion. Lorsque d’autres troupes furent nécessaires, Auguste envoya Germanicus, et non Agrippa Posthumus. Les sources suggèrent qu’Auguste commença alors à réaliser que Posthumus était brutal, violent et inadapté au pouvoir. Il fut exilé, laissant Tibère comme héritier direct, mais toujours sous des conditions de succession.
Tibère travailla en étroite collaboration avec Auguste au cours des années suivantes, partageant ses responsabilités. Il mena également des campagnes en Germanie entre 10 et 12 de notre ère, célébrant un autre petit triomphe à son retour à Rome en 12 de notre ère. En 13 de notre ère, il détenait techniquement tous les pouvoirs d’Auguste, devenant ainsi co-empereur.
Lorsque Auguste mourut à l’âge de 75 ans en 14 de notre ère, Tibère, âgé de 55 ans, fut confirmé comme son successeur, assurant ainsi une transition en douceur après une longue attente.
Le Rôle de Livia
Les sources suggèrent que Livia, la mère de Tibère, joua un rôle déterminant dans la montée de son fils au pouvoir. Elle est accusée d’avoir peut-être été impliquée dans les morts de Gaius et Lucius, et d’avoir joué un rôle clé dans l’exil d’Agrippa Posthumus, éliminant ainsi toute opposition à Tibère. Cependant, ces accusations semblent davantage relever de la calomnie habituelle visant les femmes puissantes de l’Empire que d’une base factuelle solide.
Si Livia avait l’ambition de faire de Tibère le successeur d’Auguste, elle n’a pas très bien réussi. Il lui fallut plus de 40 ans pour convaincre Auguste d’adopter son fils. Les sources suggèrent également qu’elle exerça une grande influence sur Tibère, mais elle n’empêcha pas son départ à Rhodes à un moment crucial de sa carrière.
Bien que l’on puisse intuitivement penser qu’une mère cherche à propulser son fils au pouvoir et qu’elle ait pu signaler les qualités de Tibère à Auguste, l’idée qu’elle ait été une tueuse impitoyable dans la quête de pouvoir pour Tibère semble peu crédible.
Devenir Auguste
Les sources suggèrent qu’Auguste donna à Tibère des directives assez strictes sur ce qu’il devait faire lorsqu’il deviendrait empereur, directives qui allaient au-delà de l’obligation de désigner Germanicus comme héritier. Par exemple, il lui aurait dit de ne pas chercher à étendre les frontières de l’Empire. Il est probable qu’Auguste ait aussi planifié son processus de déification et donné des instructions à ce sujet à Tibère.
Il est également probable qu’Auguste ait conseillé à Tibère de refuser les honneurs excessifs et de maintenir l’apparence de l’humilité, en se présentant comme le premier parmi ses égaux. Cette stratégie, qui avait bien servi Auguste pendant les 50 ans où il établissait l’Empire impérial romain, ne fonctionna cependant pas de la même manière au début du règne de Tibère, dans une Rome bien différente de celle des années 20 av. J.-C.
Conformément à l’exemple d’Auguste, Tibère refusa certains honneurs, comme le titre de pater patriae et la couronne civique. Mais plutôt que d’être perçu comme humble, les sources suggèrent qu’il parut être un dirigeant réticent et un hypocrite arrogant. Il choisit également d’éviter le gouvernement autocratique et d’encourager le Sénat à débattre et à agir.
Cependant, au lieu de promouvoir l’indépendance sénatoriale, cela créa de l’anxiété, les sénateurs cherchant à deviner les souhaits de Tibère. Ce fut le début de l’antipathie entre Tibère et le Sénat, une animosité qui alimenta les procès en trahison qui le rendirent si impopulaire.
Plus de Problèmes de Succession
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Tibère suivit aussi l’exemple d’Auguste pour la planification de sa succession. Il avait déjà adopté Germanicus, comme le souhaitait Auguste, et malgré des tentatives timides des troupes germaniques pour faire de leur commandant Germanicus le nouvel empereur après la mort d’Auguste (ce que Germanicus refusa), Tibère continua de le promouvoir comme héritier.
En 17 de notre ère, Germanicus reçut un triomphe complet, bien plus grand que ceux que Tibère avait célébrés, et en 18 de notre ère, il obtint le commandement de la partie orientale de l’Empire, tout comme Agrippa et Tibère l’avaient fait sous Auguste. Mais Germanicus mourut l’année suivante.
Tibère se tourna alors vers son propre fils Drusus comme héritier potentiel ; il partagea le pouvoir tribunicien avec lui à partir de 22 de notre ère, mais Drusus mourut l’année suivante. Tibère se tourna alors vers les fils de Germanicus : Nero, 17 ans, Drusus, 15 ans, et Gaius Caligula, 11 ans. En 23 de notre ère, il adopta les deux aînés comme ses héritiers.
Quelques années plus tard, en 27 de notre ère, Tibère se retira de nouveau, cette fois à Capri, remplissant ses devoirs impériaux à distance et confiant la gestion des affaires de Rome à ses jeunes héritiers, à sa mère Livia et au préfet du prétoire Séjan.
Cela s’avéra une catastrophe. Séjan, avide de pouvoir, devint audacieux après la mort de Livia en 29 de notre ère. Il commença des procès en trahison pour éliminer les sénateurs qu’il ne faisait pas confiance et utilisa ces mêmes mécanismes pour accuser Agrippine, la femme de Germanicus, et ses deux aînés de trahison contre l’empereur. Ils furent exilés en 30 de notre ère, où ils moururent plus tard. Tibère arrêta et exécuta Séjan l’année suivante, se retrouvant à nouveau sans héritiers.
En 33 de notre ère, Tibère adopta Gaius Caligula, le seul fils restant de Germanicus, et Tibère Gemellus, le fils de son propre fils Drusus (qui était environ cinq ans plus jeune que Gaius), comme héritiers. En 35 de notre ère, il convoqua les garçons à Capri où il les prit « sous son aile » pour les préparer à l’avenir. Lorsque Tibère mourut en 37 de notre ère, l’aîné et le plus populaire, Caligula, succéda au pouvoir et tua son cousin Gemellus pour éliminer toute concurrence potentielle.
Pourquoi Tibère se Retira à Capri ?
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Bien que nous sachions que Tibère passa les dix dernières années de son règne à vivre à Capri, loin de Rome, nous ignorons pourquoi il prit cette décision. Contrairement à Marc Aurèle, qui laissa un aperçu de ses pensées et défis en tant qu’empereur à travers ses Pensées, nous n’avons aucune idée de ce que pensait Tibère à un moment donné, avant ou après être devenu empereur.
Les sources nous laissent croire que Tibère en eut assez de la vie à la cour et voulut s’échapper. Cela semble plausible. Il entretenait une terrible relation avec le Sénat, se sentait trahi par sa propre famille et par l’un des hommes qu’il pensait pouvoir lui faire confiance – Séjan. De plus, il avait vu pratiquement tous les membres de sa famille mourir.
Les sources suggèrent également que Tibère devint un « vieux débauché » et transforma Capri en un palais de plaisirs personnels. Les murs du palais étaient soi-disant décorés d’images pornographiques, et c’est là qu’il aurait organisé des orgies et bu à l’excès. Les pires crimes qu’il est accusé d’avoir commis incluent la pédophilie avec des nourrissons et des viols d’enfants dans le cadre de cérémonies sacrificielles, avant de leur briser les jambes.
Bien sûr, aucun des auteurs ayant relaté ces accusations n’était un contemporain ou un témoin oculaire, et ces accusations ressemblent à celles faites contre d’autres empereurs « méchants ». Elles proviennent probablement des rumeurs contemporaines. Il est facile d’imaginer des sénateurs apeurés et rancuniers se demandant ce que faisait l’empereur âgé toute la journée, enfermé à Capri. Ce que nous savons avec certitude, c’est que nous ne saurons probablement jamais ce qui s’est réellement passé.
L’empereur réticent
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Ce que nous savons, c’est que Tibère n’a jamais été destiné à devenir empereur. Il n’était pas lié à Jules César, et son père avait choisi le mauvais camp, du moins pendant un certain temps, pendant les guerres qui ont suivi la chute de la république et le début de l’empire. Il ne s’est retrouvé dans l’orbite du pouvoir impérial que parce qu’Auguste appréciait vraiment sa mère.
Tibère a été élevé dans la maison impériale et a été formé pour devenir l’un des généraux et hommes d’État les plus importants de Rome. Mais il n’a pas été préparé à devenir empereur.
Tout au long du règne d’Auguste, les choix de l’empereur vieillissant ont montré que Tibère était initialement censé rester en retrait, puis être un tuteur pour de jeunes hommes issus de lignées plus prestigieuses, et enfin être une solution de dernier recours. Même lorsqu’il fut enfin adopté comme héritier, ce fut à la condition que Tibère ignore son propre fils au profit d’un membre plus favorable de la maison des Julio-Claudiens.
Il n’est pas difficile d’imaginer que ce traitement ait rendu Tibère avide de pouvoir et prêt à tout pour l’obtenir, mais il semble que cela ait eu l’effet inverse. Il savait qu’il n’était pas destiné à devenir empereur et semblait résigné à ce sort. Il a accepté le défi lorsqu’il lui a été imposé, mais il n’en a jamais tiré de plaisir.