Haile Selassie : Le Dernier Empereur d’Éthiopie

Haile Selassie (Haïlé Sélassié Ier), né Tafari Makonnen, fut empereur d’Éthiopie de 1930 à 1974. Figure marquante de l’histoire africaine du XXe siècle, il est connu pour sa résistance face à l’invasion italienne de 1935, son rôle dans la modernisation de l’Éthiopie et son influence sur le mouvement rastafari, qui le considère comme un messie.

Hailé Sélassié

Haile Selassie (Haïlé Sélassié Ier) est reconnu comme un homme politique puissant et progressiste qui modernisa l’Éthiopie. Ses réformes lui valurent le respect et l’attention des leaders noirs au-delà des frontières de son pays. Plus qu’un simple empereur, certains le considèrent comme une divinité.

Cependant, son règne fut loin d’être paisible. Son héritage est marqué par des paradoxes et des contradictions.

Quelles réformes principales a-t-il introduites ?

  • Établissant la première constitution (1931)
  • Développant l’éducation et les infrastructures
  • Abolissant l’esclavage
  • Intégrant l’Éthiopie dans la Société des Nations
  • Résistance aux réformes agraires profondes

Les Premières Années de Haile Selassie

Ras Tafari Makonnen en 1923.
Ras Tafari Makonnen en 1923.

Né le 23 juillet 1892 dans le village d’Ejersa Gora en Éthiopie, Lij (enfant) Tafari Makonnen pouvait retracer sa lignée jusqu’à Ménélik Ier, fils légendaire du roi Salomon et de la reine de Saba.

Sa mère, Woizero (dame) Yeshimebet Ali Abba Jifar, était la fille d’un chef de la province du Wollo. Son père, Ras (duc/prince) Makonnen Wolde Mikael Wolde Melekot, était issu de la noblesse, militaire et gouverneur de Harar.

Tafari revendiquait son droit au trône par sa grand-mère paternelle, Tenagnework Sahle Selassie, tante de l’empereur Ménélik II et fille du roi Sahle Selassie, souverain salomonide amhara du Shewa. À la mort de son père en 1906, Tafari fut élevé à la cour impériale de Ménélik II, qui n’avait pas d’héritier direct après la mort de son unique fils à l’âge de 15 ans.

Grandissant dans la cour impériale, Tafari reçut une éducation soignée et apprit à naviguer dans les subtilités de la vie politique. Travailleur et attentif, il attira l’attention de Ménélik II. À seulement 14 ans, il fut nommé gouverneur de Gara Muleta dans la province de Harar, et à 20 ans, il devint commandant de la province du Sidamo.

À un moment indéterminé de son adolescence, Tafari aurait épousé Woizero Altayech, avec qui il eut une fille, la princesse Romanework. Cependant, cet épisode de sa vie demeure mystérieux et n’est pas mentionné dans la traduction anglaise de son autobiographie.

Tafari avait un demi-frère, Yelma, qui fut gouverneur de Harar. À la mort de Yelma en 1907, la région passa sous l’administration du commandant militaire Dejazmach Balcha Safo, qui s’avéra inefficace. Il fut démis de ses fonctions, et Tafari fut nommé gouverneur.

Le 3 août 1911, Tafari épousa Menen Asfaw d’Ambassel, nièce de Lij Iyasu, alors empereur d’Éthiopie de 1913 à 1916. Tafari avait 19 ans et sa femme 22 ans. Mais le règne de Lij Iyasu allait se révéler profondément impopulaire.

L’Ascension de Haile Selassie

Haïlé Sélassié Ier
Haïlé Sélassié Ier à son bureau du palais de Le’ul Guenet, dans les années 1940. Source : Domaine public.

Lij Iyasu, petit-fils de l’empereur Ménélik II, hérita du trône après la mort de son grand-père le 12 décembre 1913. Mais son règne fut tumultueux. Son comportement scandaleux et son mépris pour les autres nobles lui valurent de nombreux ennemis. De plus, des rumeurs affirmant qu’il s’était converti à l’islam lui attirèrent l’hostilité de l’Église et d’une population majoritairement chrétienne.

En tant que prétendant au trône, Tafari bénéficia du soutien des factions progressistes comme conservatrices. Finalement, en utilisant l’accusation de conversion à l’islam contre Lij Iyasu, une alliance de nobles parvint à le destituer. La fille de Ménélik II, Zewditu, fut proclamée impératrice, tandis que Tafari fut élevé au rang de Ras et nommé régent ainsi qu’héritier du trône.

Lij Iyasu s’enfuit dans le désert de l’Ogaden, aidé par son père, le Negus Mikael du Wollo. Ce dernier leva une armée de 80 000 hommes pour affronter les 120 000 soldats fidèles à Zewditu. Le 27 octobre 1916, les forces du Wollo furent vaincues à la bataille de Segale, et Lij Iyasu dut se cacher. Toute chance de retrouver le trône s’évanouit, et après cinq ans de cavale, il fut capturé et emprisonné.

Avec son épouse, l'impératrice Menen Asfaw, 1955.
Avec son épouse, l’impératrice Menen Asfaw, 1955. Source : Wikimedia.

Dès lors, Ras Tafari devint le dirigeant de facto de l’Éthiopie pour les treize années suivantes, durant lesquelles il entreprit de moderniser le pays. Dans les années 1920, il supervisa l’expansion du système éducatif, construisant écoles et universités.

En 1923, Tafari abolit l’esclavage et fit entrer l’Éthiopie dans la Société des Nations, renforçant le prestige du pays à l’international. Il fut aussi le premier dirigeant éthiopien à voyager à l’étranger, visitant Jérusalem, Paris, Rome et Londres.

Cependant, Zewditu voyait d’un mauvais œil la montée en puissance de Tafari. Sous la pression, elle dut le nommer Negus (roi) le 7 septembre 1928, consolidant encore son autorité. Désespérée, elle tenta d’envoyer l’armée de son mari contre Tafari, mais celle-ci fut écrasée. Zewditu mourut deux jours plus tard, ouvrant la voie à l’accession de Tafari au trône.

Le 2 novembre 1930, Negus Tafari fut couronné empereur sous le nom de Haile Selassie (Puissance de la Trinité). La cérémonie fut un événement grandiose qui attira une attention internationale considérable. Des dignitaires du monde entier y assistèrent.

Quel a été son rôle sur la scène internationale ?

  • Un des fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA)
  • Un défenseur de l’indépendance africaine
  • Un allié important des États-Unis pendant la Guerre froide

Haile Selassie : L’Empereur

Emperor Haile Selassie I
Couronnement en tant qu’empereur le 2 novembre 1930.

L’une des premières actions de Haile Selassie en tant qu’empereur fut d’octroyer à l’Éthiopie une nouvelle constitution. Adoptée le 16 juillet 1931, cette constitution maintenait le pouvoir entre les mains de la noblesse, mais établissait néanmoins des normes démocratiques. Elle était censée être une étape vers une transition progressive vers des réformes plus approfondies.

La même année, Haile Selassie créa la Banque d’Éthiopie et introduisit une nouvelle monnaie, le birr éthiopien, qui remplaça le birr abyssinien, bien que ce ne fût qu’un changement de nom. Il demanda également à la communauté internationale de ne plus employer le terme Abyssinie pour désigner son pays, car ce nom avait été imposé par des étrangers et ne correspondait pas à l’identité des Éthiopiens.

Cependant, le birr fut retiré en 1936 et remplacé par la lire italienne.

La Domination Italienne

Discours de l'empereur Hailé Sélassié à la Société des Nations
Discours de l’empereur Haïlé Sélassié à la Société des Nations en 1936 contre l’invasion italienne fasciste. Source : Wikimedia.

Le 3 octobre 1935, l’Italie envahit l’Éthiopie sans déclaration formelle de guerre. Malgré les efforts de modernisation, l’armée éthiopienne était extrêmement mal préparée. Elle ne disposait que de 13 avions et de quelques chars et véhicules blindés. Face à une armée italienne équipée de technologies avancées et utilisant des armes chimiques, la résistance éthiopienne était vouée à l’échec.

Le 2 mai 1936, Haile Selassie et sa famille furent contraints de s’exiler au Royaume-Uni. De là, il fit appel à la Société des Nations pour obtenir de l’aide. Les nations occidentales exprimèrent leur sympathie envers le peuple éthiopien, mais ne lui apportèrent aucune assistance concrète. Cependant, la résistance éthiopienne continua sous forme de guérilla, attaquant les positions italiennes dès que possible.

Ce n’est qu’avec la Seconde Guerre mondiale que la situation évolua en faveur de l’Éthiopie. Lorsque le Royaume-Uni entra en guerre contre l’Italie, les Alliés entreprirent de libérer le pays. En 1941, les troupes alliées chassèrent les Italiens, et Haile Selassie put rentrer en Éthiopie pour reconstruire une administration largement détruite par l’occupation.

La Reconstruction

Avec le roi George V au palais de Buckingham, 1924.
Avec le roi George V au palais de Buckingham, 1924. Source : Wikimedia.

De retour en Éthiopie, Haile Selassie poursuivit ses efforts de modernisation. L’infrastructure du pays fut améliorée, et l’éducation ainsi que la santé connurent une expansion significative grâce à la construction d’écoles et d’hôpitaux.

En 1948, l’Éthiopie rejoignit l’Organisation des Nations unies. La question des territoires voisins, marquée par l’héritage du colonialisme, conduisit à l’incorporation de l’Érythrée, une ancienne colonie italienne. Cette annexion s’accompagna de garanties visant à préserver l’équilibre ethnique, linguistique et culturel de l’Érythrée, tandis que l’Éthiopie assumait la gestion des finances, de la défense et des affaires étrangères.

Haile Selassie : Le Tyran

Drapeau de l'Organisation de l'unité africaine, 1970 à 2002.
Drapeau de l’Organisation de l’unité africaine, 1970 à 2002. Source : Wikimedia.

Malgré son image de grand réformateur, Haile Selassie exerça un pouvoir autoritaire. Loin des représentations le dépeignant comme un dictateur bienveillant, un messie ou même une divinité, il est aussi considéré par beaucoup comme un dirigeant tyrannique, responsable de nombreuses morts.

Un exemple marquant de sa brutalité se produisit en 1943, lorsque la région du Tigré se souleva contre le pouvoir central. L’insurrection fut écrasée avec l’aide de l’armée britannique. Les bombardements touchèrent des zones civiles et causèrent la mort de milliers d’innocents.

En 1948, une autre répression violente eut lieu lorsque la communauté musulmane harari exigea l’autonomie qui lui avait été promise par Ménélik II. Haile Selassie répondit en imposant un siège total sur la ville de Harar et en confisquant les biens des Harari.

Cependant, dans d’autres régions du pays, Selassie adopta une approche plus conciliante et accorda plus d’autonomie à certaines provinces difficiles à administrer. Cette inconstance dans son application du pouvoir illustre une contradiction dans sa politique.

Haile Selassie s’appuyait largement sur l’Occident et gouvernait d’une manière comparable à des figures comme le Shah Reza Pahlavi en Iran ou Mobutu Sese Seko au Zaïre.

De plus, il voyait d’un mauvais œil ceux qui avaient combattu les Italiens en tant que partisans, les considérant comme des menaces potentielles. De plus en plus paranoïaque, il se méfiait de tous ceux qui osaient défier son autorité. Il s’entoura donc de personnalités facilement contrôlables, y compris des politiciens ayant collaboré avec l’occupant italien.

En 1955, il centralisa encore davantage le pouvoir avec une nouvelle constitution qui lui accordait des prérogatives identiques à celles de la précédente.

Dans les années 1960, l’opposition à son régime grandit. En décembre 1960, une faction de l’armée se souleva et prit temporairement le contrôle d’Addis-Abeba. Bien que le coup d’État fut écrasé, il contribua à nourrir un ressentiment généralisé contre Selassie, notamment au sein du milieu universitaire.

Malgré tout, sur la scène internationale, Haile Selassie joua un rôle important en 1963 en contribuant à la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA).

Haile Selassie : Le Dieu

L’idée que Haile Selassie était un dieu trouve son origine dans les paroles prophétiques de Marcus Garvey, qui déclara : « Regardez vers l’Afrique, lorsqu’un roi noir sera couronné, car le jour de la délivrance est proche. »

Cette déclaration suscita un grand intérêt au sein d’un mouvement religieux abrahamique en Jamaïque, qui se redéfinit sous le nom de rastafarisme, un terme directement dérivé du nom de Haile Selassie, qui était alors connu sous le titre de Ras Tafari.

L’émergence de Selassie et son couronnement en tant qu’empereur, associés aux paroles prophétiques de Garvey, alimentèrent une croyance spirituelle selon laquelle Selassie possédait une nature divine.

Au fil du temps, le mouvement rastafarien s’orienta vers une philosophie de vie plus large, et Haile Selassie devint un symbole de solidarité, de liberté et de puissance pour les populations d’origine africaine à travers le monde.

Fin de Règne et Mort

Le règne de Haile Selassie se poursuivit jusqu’en 1974. Pour beaucoup, les années 1960 et 1970 furent marquées par des conflits. L’Érythrée luttait pour son indépendance, tandis qu’une révolte dans la région du Balé, au sud du pays, donna lieu à une insurrection terroriste qui dura six ans avant d’être écrasée.

Si de nombreux dissidents furent emprisonnés, Selassie se fit également connaître pour ses grâces présidentielles, libérant plusieurs prisonniers politiques au cours de cette période.

Cependant, la crise pétrolière de 1973 eut des conséquences désastreuses sur l’Éthiopie. L’inflation explosa, aggravant les problèmes socio-économiques du pays. Cette situation mena à des défaillances économiques majeures et, surtout, à une famine qui causa la mort de 40 000 à 80 000 personnes.

En février 1974, le mécontentement grandissant lié au chômage, à la famine et à une situation politique stagnante provoqua des grèves et, finalement, la destitution de Haile Selassie. Ses tentatives de concessions ne suffirent pas à apaiser les tensions, et l’armée prit le pouvoir à la suite d’un coup d’État.

Son gouvernement fut remplacé par le régime marxiste-léniniste du Derg. Relégué à son palais, Haile Selassie passa ses derniers jours en captivité. À la fin du mois d’août, le gouvernement annonça sa mort, officiellement due à une insuffisance respiratoire. Cependant, des enquêtes ultérieures révélèrent qu’il avait en réalité été assassiné sur ordre des nouvelles autorités. À l’âge de 83 ans, affaibli, il fut étouffé avec un oreiller.

Héritage

D’un point de vue moderne, Haile Selassie est une figure controversée. Tandis que les rastafariens le considèrent comme un dieu, son héritage semble davantage reconnu à l’extérieur de son pays qu’au sein de l’Éthiopie elle-même.

S’il chercha à mettre en place des réformes progressistes, leur application fut freinée par son besoin de maintenir le soutien des nobles traditionalistes. Une grande partie de la population ne bénéficia pas des mesures qui auraient pu les sortir du féodalisme.

À la fin des années 1970, l’Éthiopie se trouvait dans une situation économique extrêmement précaire. Le pays affichait le produit national brut par habitant le plus bas d’Afrique, avec une espérance de vie de seulement 30 ans. Soixante pour cent des nourrissons mouraient avant leur premier anniversaire.

Sous son règne, le peuple éthiopien connut un passage brutal du féodalisme à la modernité, avec des avancées en matière de santé et d’éducation. Mais il subit également la guerre et la famine, particulièrement en Érythrée, qui souffrit énormément dans sa lutte pour l’indépendance.

Haile Selassie demeure un paradoxe. Réformateur dans certains domaines, il n’a jamais réussi à concilier les intérêts des nobles et ceux du peuple, ce qui le plaça en conflit avec les deux camps.

D’un point de vue extérieur, cependant, il reste une figure emblématique de l’indépendance et du respect, liée à la reconnaissance du succès africain sur la scène internationale.

Questions/Réponses sur Haile Selassie

Quel était le nom de naissance d’Haile Selassie ?

Tafari Makonnen, né le 23 juillet 1892. Le nom « Haile Selassie » signifie « Puissance de la Trinité » et lui fut donné lors de son couronnement.

Que s’est-il passé lors de l’invasion italienne ?

n 1935, l’Italie de Mussolini envahit l’Éthiopie. Selassie s’exile en 1936 en Grande-Bretagne, avant de revenir triomphalement en 1941 après la libération.

Quel est son lien avec le mouvement rastafari ?

Les rastafaris le considèrent comme une incarnation divine de Jah (Dieu), descendant du roi Salomon. Son couronnement en 1930 est vu comme l’accomplissement d’une prophétie.