Lorsque l’on parle des cinq bons empereurs romains de la dynastie antonine, on omet systématiquement Lucius Aurelius Verus. Les cinq bons empereurs sont Nerva, Trajan, Hadrien, Antonin le Pieux et Marc Aurèle, qui se sont succédé et dont la période de prospérité a pris fin avec le règne troublé de l’empereur Commode.
Cependant, cette chronologie idéalisée oublie Lucius Verus, qui régna comme co-empereur aux côtés de Marc Aurèle dès le début de leur règne conjoint en 161 apr. J.-C. jusqu’à sa mort en 169 apr. J.-C. Où se situe donc Lucius Verus dans l’histoire des empereurs antonins, et pourquoi est-il si souvent négligé ?
Quelles étaient les réalisations de Verus en tant qu’empereur ?
- Victoires militaires : Il a supervisé la guerre parthique et sécurisé les frontières orientales.
- Stabilité politique : Son règne conjoint avec Marc Aurèle a assuré une transition pacifique du pouvoir.
- Infrastructures : Il a soutenu des projets de construction et d’embellissement à Rome.
Comment Lucius Verus Fut-il Choisi Pour Régner ?
Né Lucius Ceionius Commodus le 15 décembre 130 apr. J.-C., Lucius appartenait dès son plus jeune âge au cercle impérial.
L’adoption était une stratégie courante chez les Romains pour assurer la continuité des familles patriciennes. Grâce à cette pratique, les Julio-Claudiens purent perpétuer leur dynastie malgré la disparition prématurée de nombreux héritiers mâles. Octavien fut adopté par son oncle Jules César dans son testament et devint plus tard Auguste.
Il adopta à son tour ses petits-fils, Gaius et Lucius César, issus de sa fille Julie et de son ami Marcus Agrippa. À la mort de ces derniers, Auguste adopta son beau-fils Tibère, à condition que celui-ci adopte Germanicus, petit-fils de la sœur d’Auguste, Octavie, et de son allié devenu rival, Marc Antoine. Germanicus mourut avant d’accéder au trône, laissant ainsi le pouvoir à son plus jeune fils, Caligula, ses frères aînés étant déjà décédés.
Les empereurs antonins adoptèrent une approche similaire, bien que leurs liens familiaux avec leurs héritiers adoptifs fussent plus distants. Nerva, un sénateur âgé devenu empereur après l’assassinat de Domitien, dernier des Flaviens, adopta le général Trajan, qui n’était pas un parent direct. Trajan adopta ensuite Hadrien, fils de son cousin.
En 136 apr. J.-C., Hadrien adopta d’abord Lucius Ceionius Commodus, le père de Lucius Verus, qui prit alors le nom de Lucius Aelius Caesar. Ce choix fut surprenant, car il était préféré à Lucius Pedanius Fuscus Salinator, son arrière-neveu qui avait auparavant reçu des honneurs particuliers à la cour. Cependant, cette adoption fut rendue caduque lorsque le père de Lucius Verus mourut seulement deux ans plus tard.
Après cette perte en 138 apr. J.-C., Hadrien adopta alors Titus Aurelius Fulvus Boionius Arrius Antoninus, qui devint empereur sous le nom d’Antonin le Pieux la même année. Ce dernier était marié à Faustine, la nièce d’Hadrien, avant même son adoption. Dans le cadre de cette transmission du pouvoir, Hadrien exigea qu’Antonin adopte Marcus Annius Verus, fils d’un de ses amis proches et arrière-arrière-petit-fils de Trajan, qui deviendrait plus tard Marc Aurèle, ainsi que Lucius Ceionius Commodus, fils de son précédent héritier, qui deviendrait Lucius Verus.
À la suite de ces mécanismes d’adoption complexes, Marc Aurèle fut le premier empereur depuis près d’un siècle à choisir son propre fils biologique, Commode, comme héritier. Mais cette décision s’avéra désastreuse et marqua la fin de la dynastie antonine.
Prince Romain
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Lucius Verus fut reconnu comme un héritier du pouvoir dès l’âge de six ans, aux côtés de Marc Aurèle, son aîné de dix ans. À l’origine, Verus était fiancé à Faustine, la fille d’Antonin, bien qu’elle fût légalement sa sœur, tandis que Marc était fiancé à la sœur de Verus, Ceionia Fabia. Cependant, peu après son accession au trône, Antonin modifia cet arrangement et maria Marc Aurèle à Faustine. Le couple se maria en 145 et eut au moins quatorze enfants.
L’âge plus avancé de Marc Aurèle et ce mariage avantageux firent de lui l’héritier préféré, ce qui était logique, car Lucius Verus était encore très jeune. Tous deux furent éduqués pour le pouvoir, notamment sous la tutelle du célèbre orateur Fronton. Des lettres entre les deux empereurs et leur ancien maître nous sont parvenues, et il ressort clairement de cette correspondance que Marc était l’élève favori de Fronton.
Marc fut nommé princeps iuventutis en 139 apr. J.-C., marquant ainsi son statut d’héritier présomptif. Il occupa ensuite le consulat en 140 et en 145, rejoignit plusieurs collèges sacerdotaux et fut installé dans un palais impérial sur le Palatin afin d’être formé à la vie de cour. Verus, en revanche, ne devint consul qu’en 154 et ne reçut sous Antonin aucun titre extraordinaire, si ce n’est celui de « fils d’Auguste ».
À partir du milieu des années 150, Marc assuma des responsabilités administratives croissantes, tandis que Verus restait en retrait. Marc assistait l’empereur vieillissant dans ses affaires quotidiennes et fut nommé préfet du prétoire en 156 ou 157, un poste clé dans l’administration romaine.
En 160, Marc et Lucius furent tous deux désignés consuls pour l’année suivante, maintenant ainsi Marc avec un consulat d’avance sur son cadet. Antonin le Pieux mourut au début de leur mandat, en mars 161.
L’Accession au Pouvoirü
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À la mort d’Antonin le Pieux, le 7 mars 161, le Sénat était prêt à proclamer Marc Aurèle nouvel empereur. Cependant, Marc déclara qu’il n’accepterait l’honneur que si Verus obtenait un pouvoir égal, ce que le Sénat accepta. Cet événement marqua un tournant historique, car ce fut la première fois que Rome eut deux empereurs. Le Sénat considéra peut-être cela comme un risque, craignant l’émergence de factions et de conflits internes, mais il ne sembla pas en mesure de refuser la demande de Marc.
Une fois leur pouvoir confirmé par le Sénat, les deux hommes se rendirent auprès des prétoriens pour obtenir leur soutien. Selon les sources, ce fut Lucius qui s’adressa à la garde, peut-être parce que Marc bénéficiait déjà de leur appui en tant qu’ancien préfet du prétoire. Ensemble, ils accordèrent une donativa massive aux prétoriens : 20 000 sesterces par homme, soit l’équivalent de sept années de solde.
Ils complétèrent ensuite leurs devoirs de succession en faisant diviniser Antonin le Pieux sous le titre de Divus Antoninus. Alors que le Sénat avait initialement hésité à accorder cette honorificence à Hadrien en 138, il ne sembla opposer aucune résistance à la divinisation d’Antonin.
Après leur accession au trône, Imperator Caesar Marcus Aurelius Antoninus Augustus et Imperator Caesar Lucius Aurelius Verus Augustus étaient officiellement égaux en pouvoir. Cependant, il était évident pour tous que Marc était le membre dominant du duo impérial. Selon la Vie de Lucius Verus dans l’Historia Augusta :
« Verus obéissait à Marc Aurèle dans toutes ses entreprises, comme un lieutenant obéit à un proconsul ou un gouverneur à l’empereur » (Historia Augusta, 4.2).
Néron Antonin
Bien que Lucius Verus ne soit pas vilipendé dans les sources antiques de la même manière que Caligula ou Domitien, le jeune princeps, âgé d’une trentaine d’années lorsqu’il accéda au pouvoir, est souvent présenté comme un Néron antonin. L’Historia Augusta rapporte qu’« il est admis que s’il ne regorgeait pas de vices, il n’était pas non plus abondamment pourvu de vertus » et qu’il souffrait d’une « relâchement de ses principes et d’une licence excessive dans sa vie » (3).
Ses vices, tels que le jeu, la débauche et la fréquentation de personnages douteux, sont mentionnés dans diverses sources, mais ils apparaissent avec le plus de clarté lorsqu’il est envoyé en Syrie pour gérer une rébellion.
La Guerre contre les Parthes
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Les tensions avec les Parthes éclatèrent en 161 apr. J.-C., lorsque Vologèse IV de Parthie envahit le royaume d’Arménie, un État client de Rome, en en chassant son roi pour y installer son propre souverain. Le gouverneur de Cappadoce, cherchant à s’illustrer, intervint rapidement, mais il se suicida trois jours après le début de l’opération, et sa légion fut anéantie.
Les forces romaines de la région furent renforcées, au détriment d’autres frontières de l’Empire, mais d’autres pertes suivirent. À la fin de l’année 161, il était évident qu’un empereur devait intervenir personnellement pour gérer la crise.
Bien que désigné héritier, Marc Aurèle n’avait aucune expérience militaire. Contrairement à ses prédécesseurs, il n’avait pas été envoyé en province pour se forger une réputation militaire, restant à Rome auprès d’Antonin le Pieux. Il fut donc décidé que Lucius Verus partirait en campagne, étant plus jeune et ayant une constitution plus robuste.
Il était connu pour exceller dans les sports physiques, aimant la chasse et la lutte. Toutefois, il ne partit pas seul : il fut accompagné par Furius Victorinus, un préfet du prétoire et ancien procurateur de Galatie, M. Pontius Laelianus Larcius Sabinus, ancien gouverneur des Pannonies et de la Syrie, ainsi que M. Iallius Bassus, ex-gouverneur de Mésie Inférieure. De plus, Marcus Statius Priscus, gouverneur de Bretagne, fut envoyé séparément pour prendre le poste de gouverneur de Cappadoce.
Un Voyage Décadent
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À Rome, la présence de Marc Aurèle avait peut-être tempéré les tendances hédonistes de Lucius Verus, mais loin de la capitale, il put se livrer aux plaisirs qu’il affectionnait.
Partant à l’été 162, il suivit un itinéraire sinueux d’Italie jusqu’à Antioche en Syrie, s’arrêtant pour festoyer, chasser et se divertir dans de nombreuses villas. Lors de son passage en Grèce, notamment à Corinthe et Athènes, il était accompagné de musiciens et de chanteurs, comme s’il effectuait une tournée royale plutôt que de se rendre sur un théâtre de guerre. Traversant la mer Égée, il fit halte dans des stations balnéaires renommées de Pamphylie et de Cilicie, avant d’arriver enfin à Antioche vers la fin de 162 ou le début de 163.
Une fois à Antioche, bien qu’il fût loué pour sa gestion et sa supervision de l’armée, son mode de vie fastueux suscita des critiques. Il se livrait au jeu, s’entourait d’acteurs et gaspilla des ressources pour recevoir des nouvelles de Rome sur son équipe de chars favorite.
Il entama également une liaison avec une Grecque de basse extraction, nommée Panthea, réputée pour sa grande beauté. Elle le persuada notamment de se raser la barbe, ce qui lui valut des moqueries, cet épisode illustrant probablement son influence sur l’empereur. En 163 ou 164, Marc Aurèle envoya sa fille Lucilla à Éphèse pour épouser Verus, sans doute dans le but de limiter les effets néfastes de cette maîtresse orientale sur son comportement.
Victoires Militaires
Malgré ces critiques, Lucius Verus reçut de nombreux éloges pour ses exploits en Syrie, bien que la majeure partie du mérite revienne probablement à ses généraux et commandants.
Lucius commença par entraîner l’armée, qui s’était amollie sous l’influence du luxe oriental. L’idée que les Romains devenaient mous en Orient est un trope récurrent chez les auteurs romains. Il sécurisa également les lignes d’approvisionnement en creusant un canal pour ouvrir une nouvelle route navigable sur l’Oronte jusqu’à Antioche.
En 163, Statius Priscus mena une campagne en Arménie et captura la capitale Artaxata. Cela permit à Verus de prendre le titre d’Armeniacus, bien qu’il n’ait pas participé aux combats. Toutefois, l’empereur avait le droit de revendiquer la victoire, et après un an, Marc Aurèle adopta également ce titre, bien qu’il soit resté à Rome.
Son retard était probablement destiné à laisser Verus briller avant de réaffirmer la hiérarchie impériale. Lorsque Lucius fut acclamé Imperator la même année, modifiant son titre en Imp. II, Marc adopta immédiatement le même titre pour maintenir l’équilibre du pouvoir.
En 164, les Romains fondèrent une nouvelle capitale pour l’Arménie, Kaine Polis. Un nouveau roi, Gaius Julius Sohaemus, fut installé. Ce dernier était un sénateur romain ayant des liens avec la royauté perse.
Mais alors que les Romains remportaient des succès en Arménie, les Parthes intervinrent dans un autre royaume client, Osroène, en Haute Mésopotamie. En 165, les Romains pénétrèrent sur ce territoire et rétablirent le roi déchu Mannus. À la fin de l’année, les Romains conquirent le reste de la région et mirent à sac les villes de Séleucie et de Ctésiphon.
Lucius fut critiqué pour ces destructions inutiles, bien que les opérations militaires aient été dirigées par Avidius Cassius. Pour cette victoire, Lucius et Marc furent acclamés Imperatores une nouvelle fois, et Lucius prit le titre de Parthicus Maximus, un titre que Marc adopta à son tour l’année suivante.
En 166, l’armée, sous le commandement de Cassius, reprit les opérations en traversant le Tigre et en lançant une campagne en Médie. Encore une fois, les deux empereurs furent acclamés Imperatores, et Lucius reçut le titre de Medicus.
Le conflit était considéré comme pratiquement gagné à cette époque, et il s’arrêta probablement en raison d’une épidémie qui ravageait la Parthie et qui se propagea à l’armée romaine, empêchant les deux camps de poursuivre les hostilités. Cependant, moins de vingt ans plus tard, les Romains reviendraient en guerre contre les Parthes.
La Mort et l’Héritage de Lucius Verus
Lucius Verus revint à Rome en 166, où il poursuivit le mode de vie luxueux auquel il s’était habitué durant ses années en Orient. Il aurait pris un grand plaisir aux jeux du cirque et fit même construire une taverne dans sa résidence pour organiser des fêtes nocturnes avec ses amis, parmi lesquels figurait une troupe d’acteurs.
Mais ce séjour à Rome fut bref, car la tribu germanique des Marcomans envahit le territoire romain le long de la frontière danubienne, affaiblie par l’envoi de renforts en Orient. En 168, Marc Aurèle et Lucius partirent ensemble pour le front. Marc comprenait probablement qu’il ne pouvait pas se laisser totalement éclipser par Lucius sur le plan militaire. Il ne voulait pas non plus laisser un Lucius jugé peu fiable seul à Rome.
Encore une fois, Lucius aurait davantage profité du voyage que participé aux préparatifs militaires, qui reposaient entièrement sur Marc Aurèle. Ce premier affrontement avec les Marcomans fut rapidement réglé, permettant aux empereurs de rentrer à Rome avant la fin de l’année. Cependant, le conflit reprendrait l’année suivante. Marc Aurèle retournerait sur le front et finirait par mourir en campagne en 180.
Lucius Verus, lui, n’aurait pas cette longévité. Alors que les empereurs faisaient halte à Aquilée sur le chemin du retour, Lucius mourut, probablement d’une attaque cérébrale ou de la peste ramenée d’Orient par les soldats romains. Marc Aurèle veilla à ce que tous les honneurs lui soient rendus : son frère adoptif reçut des funérailles d’État somptueuses et fut divinisé sous le nom de Divus Verus.
L’histoire de Lucius Verus est difficile à démêler en raison de son association avec Marc Aurèle, que les Romains eux-mêmes considéraient comme l’un des meilleurs empereurs. La tradition littéraire romaine avait pour habitude d’exalter les qualités d’un souverain en les opposant aux défauts d’un autre.
En tant que co-empereur junior décédé bien avant Marc Aurèle, Lucius Verus constitue un contrepoint littéraire idéal pour mettre en valeur la figure du « philosophe-roi ». Cela a sans doute influencé le portrait de Lucius Verus dans les sources antiques.
Questions/Réponses sur Lucius Aurelius Verus
Pourquoi Verus a-t-il régné conjointement avec Marc Aurèle ?
À la mort d’Antonin le Pieux en 161, Marc Aurèle a insisté pour que Verus devienne co-empereur, respectant ainsi les souhaits de leur père adoptif. Cette décision reflétait également la tradition romaine de partage du pouvoir.
Quelles étaient les relations entre Verus et Marc Aurèle ?
Les deux empereurs entretenaient des relations cordiales, bien que Marc Aurèle ait été plus impliqué dans les affaires administratives et philosophiques, tandis que Verus se concentrait sur les campagnes militaires.
Qu’est-ce que la peste antonine ?
La peste antonine (165–180) était une épidémie dévastatrice qui a frappé l’Empire romain, probablement la variole. Elle a été ramenée par les soldats romains revenant de la guerre parthique et a causé des millions de morts.