La bataille d’Actium fut l’aboutissement d’une rivalité de dix ans entre le fils adoptif de Jules César, Octave, et son général favori, Marc Antoine. Cette confrontation représentait l’escalade inévitable d’une guerre froide qui avait débuté lorsque Antoine quitta Rome pour rejoindre sa maîtresse, Cléopâtre, en Égypte.
Dénonçant son rival comme un ennemi de Rome et des traditions républicaines, Octave déclara la guerre à l’Égypte ptolémaïque, ce qui conduisit à une confrontation navale. Sous le commandement de l’amiral Agrippa, la flotte romaine anéantit la flotte romano-égyptienne, mettant ainsi un terme au conflit.
La bataille d’Actium marqua un tournant majeur dans l’histoire du bassin méditerranéen antique. L’Égypte ptolémaïque, dont les origines remontaient au célèbre conquérant Alexandre le Grand, cessa d’exister en tant que royaume indépendant et devint une province romaine. Rome elle-même connut une transformation profonde : quelques années après Actium, Octave, vainqueur de la bataille, devint le premier empereur romain sous le nom d’Auguste.
Prélude à la bataille d’Actium
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Après l’assassinat de Jules César en 44 av. J.-C., Octave, Marc Antoine et Lépide formèrent le Second Triumvirat. Cette alliance politique visait à venger César et à rétablir la stabilité dans une République romaine en crise. Pour y parvenir, les trois hommes se virent accorder des pouvoirs quasi illimités et se partagèrent les territoires romains. Mais l’alliance entre trois hommes ambitieux et jaloux les uns des autres était vouée à l’échec. En 36 av. J.-C., sous prétexte de prévenir une usurpation, Octavien évinca Lépide et l’envoya en exil.
Dès lors, la relation entre Octave et Marc Antoine ne cessa de se détériorer. Bien qu’épousé à Octavie, la sœur d’Octave, Antoine vivait à Alexandrie et affichait ouvertement sa liaison avec Cléopâtre, la reine d’Égypte. Mais il alla encore plus loin : en 34 av. J.-C., il scandalisa Rome en légitimant officiellement Césarion, le fils de Cléopâtre, comme étant l’héritier de Jules César. Cette reconnaissance mettait en péril la position politique d’Octave, qui n’était que le fils adoptif de César.
Loin d’être une simple affaire de passion, la relation d’Antoine avec Cléopâtre pouvait aussi être vue comme une tentative d’instaurer une alliance privilégiée entre Rome et l’Égypte ptolémaïque, un territoire stratégique riche en ressources et crucial pour l’approvisionnement en blé. Octave riposta en lançant une campagne de propagande, dénonçant Antoine comme un despote oriental cherchant à renverser les traditions républicaines romaines.
Le scandale des Dons d’Alexandrie, par lesquels Antoine distribua des terres romaines à Cléopâtre et à ses enfants, ne fit qu’amplifier la colère du Sénat. Cependant, malgré cette opposition unanime, Rome hésitait encore à déclarer la guerre. Antoine, ancien général favori de César, comptait toujours de nombreux soutiens au Sénat et dans l’armée, et une nouvelle guerre civile semblait être la pire des options.
Puis, en 32 av. J.-C., Antoine divorça officiellement d’Octavie pour épouser Cléopâtre. Octave saisit l’occasion et en profita. Il s’empara illégalement du testament d’Antoine et le rendit public à Rome. Ce document (peut-être falsifié) révélait qu’Antoine envisageait de céder d’autres possessions romaines aux enfants de Cléopâtre et demandait même à être enterré à Alexandrie.
En stratège habile, Octave fit porter la responsabilité à Cléopâtre plutôt qu’à Antoine. Dès lors, le conflit ne fut plus présenté comme une guerre entre Romains, mais comme une lutte entre la Rome vertueuse et une Égypte ptolémaïque corrompue. Ce fut un coup de maître. Cette même année, un Sénat indigné déclara officiellement la guerre à Cléopâtre et à l’Égypte.
Les tambours de la guerre
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Octave savait qu’Antoine volerait au secours de Cléopâtre. C’est exactement ce qui se produisit. Lorsque la déclaration de guerre parvint en Égypte, Antoine se rangea immédiatement aux côtés de la reine. En réponse, le Sénat le dépouilla de ses pouvoirs, confisqua ses biens et le déclara traître à Rome. Pourtant, une grande partie du Sénat, y compris les deux consuls en exercice, prit le parti d’Antoine et rejoignit ses forces en Grèce. Les deux camps mobilisèrent leurs armées, se préparant à l’inévitable affrontement.
Antoine établit son camp en Grèce, prêt à affronter Octave. Mais malgré leurs puissantes armées terrestres, fortes d’environ 200 000 hommes chacune, le conflit ne se jouerait pas sur la terre ferme, mais en mer. Sur ce point, la flotte romano-égyptienne d’Antoine et Cléopâtre surpassait en nombre celle d’Octave.
Avec près de 500 navires, l’imposante flotte d’Antoine et Cléopâtre jeta l’ancre dans le golfe Ambracien, près du promontoire d’Actium. Leur stratégie consistait à attirer Octave en Grèce, à écraser sa flotte dans une bataille rangée et à couper ses lignes de ravitaillement. Dans un premier temps, ce plan fonctionna : Octavien débarqua en Grèce avec ses troupes. Cependant, une épidémie frappa son armée, affaiblissant ses soldats et les équipages de ses navires.
Mais tandis que les troupes d’Antoine souffraient dans leurs quartiers d’hiver, l’amiral d’Octave, Marcus Agrippa, lança une série d’attaques le long des côtes, capturant des bases stratégiques. En un rien de temps, Antoine et Cléopâtre passèrent du statut de chasseurs à celui de proies. Leurs forces terrestres et navales risquaient d’être coupées de tout ravitaillement.
Face à cette menace, Antoine n’eut d’autre choix que d’ordonner la retraite. Il envoya une partie de son armée vers la Macédoine, tandis que le reste embarqua sur les navires, tentant de briser le blocus naval d’Octave.
La bataille d’Actium était imminente.
La bataille d’Actium
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L’opportunité tant attendue d’ouvrir une brèche se présenta enfin le 2 septembre 31 av. J.-C. Vers midi, Marc Antoine ordonna à sa flotte de quitter le golfe pour affronter l’ennemi en pleine mer. Là, Octave et Agrippa l’attendaient de pied ferme.
Tandis que les rameurs, en sueur, s’activaient dans les cales, les deux flottes se rapprochèrent l’une de l’autre. Sur les ponts, les archers bandèrent leurs arcs, tandis que les servants des balistes attendaient l’ordre de lâcher leurs projectiles mortels. À côté d’eux, d’autres soldats vérifiaient une dernière fois leurs armes, se préparant à aborder les navires ennemis.
Bien que toutes les galères fussent équipées d’éperons, l’éperonnage était devenu rare à cette époque. Le plus souvent, les navires manœuvraient pour se placer côte à côte. Une fois en position, les soldats ouvraient le feu avant de lancer l’assaut sur les navires adverses.
Malgré son arrivée en Grèce avec une flotte plus imposante, Marc Antoine entra dans la bataille d’Actium en infériorité numérique. Avant l’affrontement, il dut brûler plusieurs de ses navires de guerre, faute d’équipages après une épidémie meurtrière.
Désormais, il ne lui restait que 230 vaisseaux contre les 400 d’Octave. En plus de ce désavantage, Antoine faisait face à un autre problème : la plupart de ses navires étaient des quinquérèmes, de lourdes galères propulsées par cinq rangs de rameurs. Leur grande taille en faisait d’excellentes plateformes de tir, dotées de hautes tours en bois garnies d’archers.
Il disposait aussi de plusieurs octères, parmi les plus imposants vaisseaux de l’ère hellénistique (qui, d’ailleurs, effectuèrent leur dernière apparition à Actium). Bien que redoutables en combat, ces navires étaient plus lents et moins manœuvrables que les bâtiments plus petits d’Octave. De plus, Octave était informé des plans d’Antoine grâce à la défection de l’un de ses généraux avant la bataille.
Lorsque l’affrontement naval débuta, une partie des vaisseaux d’Octave entreprit de contourner les flancs de la flotte d’Antoine, plus lente et vulnérable. Si les quinquérèmes et les octères étaient des forteresses difficiles à prendre à l’abordage en combat singulier, elles devenaient des cibles parfaites une fois isolées.
Les hommes d’Octave visaient les parties basses de ces grands vaisseaux, brisant leurs rames et leurs gouvernails, puis montaient à l’assaut, déclenchant des combats acharnés sur les ponts. Selon l’historien Cassius Dion, témoin de l’événement, ces navires entremêlés ressemblaient à des « villes fortifiées ou à des îles nombreuses et proches, assiégées par la mer. »
La flotte d’Octave disposait également d’une invention récente d’Agrippa : le harpax, une immense baliste montée sur navire, capable de lancer un grappin multi-pointe sur les vaisseaux ennemis pour les rapprocher en vue de l’abordage. Le gigantesque navire amiral d’Antoine fut touché par cette arme redoutable, permettant aux soldats d’Octavien de l’aborder sans rencontrer grande résistance.
Fuite et mort
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Après plusieurs heures de combats acharnés, les plus gros navires d’Antoine réussirent à ouvrir une brèche au centre des lignes ennemies. Cléopâtre, dont la flotte se trouvait en réserve pour protéger un trésor transporté par ses navires, saisit immédiatement l’occasion. Sa petite armada s’engouffra dans l’ouverture et mit le cap sur l’Égypte. Antoine ne tarda pas à la suivre, abandonnant son navire amiral pour un vaisseau plus léger et rapide. Sur les 230 vaisseaux qu’il possédait au début de la bataille, seuls 60 atteignirent Alexandrie. La bataille d’Actium touchait à sa fin.
Réalisant la fuite de l’ennemi, Octave ordonna à ses navires de se lancer à sa poursuite. À ce stade, la flotte d’Antoine était plongée dans le chaos. Pour alléger et accélérer leurs vaisseaux, les équipages jetaient tours, catapultes, armes et tout équipement non essentiel à la mer. On aurait pu s’attendre à ce que les soldats restants, abandonnés par leur commandant, déposent les armes.
Pourtant, la résistance persista. Si une partie de la flotte se rendit dès le lendemain matin, d’autres marins combattirent jusqu’au bout, préférant sombrer avec leurs navires. La plupart des vaisseaux survivants étaient trop endommagés pour continuer à naviguer et furent incendiés sur place.
Bien qu’Antoine et Cléopâtre aient réussi à fuir, la bataille d’Actium représentait une victoire totale pour Octave. Il n’avait pas seulement remporté la bataille, mais il avait aussi gagné la guerre. Lorsque la nouvelle de la défaite parvint aux alliés orientaux d’Antoine, la plupart l’abandonnèrent.
L’armée envoyée en Macédoine fit de même, ralliant Octave. En 30 av. J.-C., ce dernier débarqua en Égypte. Déserté par tous, Antoine mit fin à ses jours. Cléopâtre suivit son exemple peu après, préférant se donner la mort plutôt que d’être exhibée comme un trophée de guerre lors du triomphe d’Octavien.
Les conséquences de la bataille d’Actium : La chute d’un empire, la naissance d’un autre
La défaite de la flotte d’Antoine et de Cléopâtre à la bataille d’Actium, suivie de leur mort, mit fin à la guerre civile et laissa Octave seul maître du monde romain. Afin de consolider son pouvoir, il ordonna l’exécution de Césarion, fils de Jules César et de Cléopâtre, éliminant ainsi un éventuel rival. Cependant, il épargna les enfants de Cléopâtre et d’Antoine, à l’exception du fils aîné d’Antoine.
Bien qu’Antoine ait été son plus grand adversaire, Octave lui accorda des funérailles d’État à Rome. Il fit de même pour Cléopâtre, preuve que, malgré la propagande qu’il avait orchestrée contre elle, il nourrissait peut-être une forme d’admiration à son égard. Cet acte de clémence renforça encore davantage son image publique, celle d’un chef magnanime et juste.
La mort de Cléopâtre laissa l’Égypte sans dirigeant, mettant un terme brutal à trois siècles de domination ptolémaïque. La région la plus riche du bassin méditerranéen devint une province du nouvel État romain, tandis que la Méditerranée elle-même se transforma en un « lac romain ».
Trois ans après sa victoire à Actium, Octave, avec l’aide d’Agrippa, mit fin à la République romaine, prenant le titre de premier empereur de Rome sous le nom d’Auguste. L’Égypte devint son possession personnelle, la seule province sur laquelle le Sénat n’exerçait aucun contrôle. Grâce à la mainmise sur l’Égypte et ses immenses ressources, notamment son approvisionnement en blé, Auguste renforça son autorité absolue sur l’Empire romain.
Ainsi, la bataille d’Actium ne fut pas seulement une victoire militaire : elle devint le prélude à une nouvelle ère, un chapitre fondateur de ce qui allait devenir l’Empire romain.