Expédition Franklin (1845-1847) : Une Tragédie dans l’Arctique

L’expédition Franklin, menée par Sir John Franklin en 1845, visait à découvrir le passage du Nord-Ouest entre l’Atlantique et le Pacifique. Deux navires, le HMS Erebus et le HMS Terror, avec 129 hommes à bord, quittèrent l’Angleterre mais disparurent dans l’Arctique canadien.

Expédition Franklin

Depuis la colonisation européenne de l’Amérique du Nord, il existait un désir ardent de trouver le passage tant recherché vers l’Orient. Christophe Colomb était parti en quête de ce raccourci vers l’Asie en 1492 et, malgré deux siècles d’exploration par les cartographes européens, aucun accès direct de l’Europe à l’Asie orientale n’avait été découvert, obligeant les marchands à contourner l’Afrique et à passer par l’Inde.

Malgré des siècles d’explorations et d’échecs répétés pour trouver une route maritime à travers les Amériques, la conviction persistait que l’Arctique abritait ce passage, connu sous le nom de mythique passage du Nord-Ouest. En 1845, alors que l’emplacement présumé du passage semblait se préciser, deux navires, le HMS Erebus et le HMS Terror, furent envoyés à sa recherche sous le commandement du capitaine John Franklin. Cependant, une fois entrés dans l’Arctique, plus personne n’entendit jamais parler de l’expédition Franklin.

L’expédition Franklin : une route maritime vers l’Orient

John Franklin est le choix par défaut de Barrow pour l'expédition
John Franklin est le choix par défaut de Barrow pour l’expédition.

Depuis presque aussi longtemps que l’Europe est habitée, un intense désir d’obtenir des marchandises rares et lointaines en provenance d’Asie a animé ses habitants. Des empires entiers se sont bâtis sur le commerce eurasiatique bien avant l’époque romaine. Avec les progrès technologiques, des explorateurs audacieux commencèrent à chercher de nouvelles voies d’accès aux marchés asiatiques, autres que les longues routes terrestres existantes.

Au XVe siècle, de nombreux explorateurs prirent la route de l’est, contournant le cap de Bonne-Espérance et traversant l’Inde pour atteindre l’Extrême-Orient. Bien que ce trajet ait permis à l’Europe d’éliminer les intermédiaires et de commercer directement avec des pays comme la Chine, il restait extrêmement long, coûteux et difficile. Contrairement à une idée reçue, aucun savant européen de l’époque ne croyait que la Terre était plate, mais les cartes limitées et la navigation incertaine rendaient tout voyage au-delà des côtes particulièrement risqué.

Finalement, c’est le célèbre voyage de Colomb en 1492 vers l’ouest qui permit aux Européens de découvrir l’existence des Amériques. Ce fut cependant un pur hasard. Colomb ne cherchait pas le Nouveau Monde, mais un passage maritime plus rapide vers l’Orient. Cette découverte déclencha une vague massive de colonisation et d’exploration européennes.

Pendant les trois siècles et demi qui suivirent, une conviction persistante alimenta les expéditions : un vaste passage d’eau reliait les Amériques à l’Asie. D’innombrables explorations furent menées à travers l’Amérique du Nord et du Sud à la recherche de ce passage mythique, mais toutes aboutirent à des désillusions.

Au début du XIXe siècle, presque la totalité du globe avait été cartographiée, à l’exception d’une seule région océanique encore inexplorée : l’Arctique canadien. C’est dans cette optique que l’Angleterre envoya plusieurs expéditions dans cette zone. En 1845, les confins orientaux avaient été largement cartographiés, et il ne restait qu’un dernier coin inexploré du monde où le passage mythique pouvait encore exister. Une dernière expédition semblait suffisante pour percer son secret : ce fut l’expédition Franklin.

La préparation

Dessins de reliques de l'expédition de Franklin, Illustrated London News, 1854.
Dessins de reliques de l’expédition de Franklin, Illustrated London News, 1854. Source : Domaine public.

En 1845, une grande partie de l’est de l’Arctique avait été cartographiée et explorée, ne laissant qu’une zone inexplorée de moins de 500 km. C’est dans cette dernière poche de territoire que beaucoup étaient convaincus que se trouvait le mythique passage du Nord-Ouest. Ainsi, l’Amirauté britannique entreprit d’organiser une expédition, un ultime voyage destiné à compléter la dernière pièce de la carte et à découvrir enfin ce passage insaisissable.

Pour atteindre cet objectif, un équipage trié sur le volet par l’Amirauté fut désigné pour servir à bord de certains des navires les plus technologiquement avancés de la flotte anglaise. L’expédition Franklin fut également soigneusement approvisionnée avec d’importantes quantités de nourriture et de matériel.

Parmi les provisions figuraient 8000 boîtes de conserves, une innovation récente dans la conservation des aliments, bien au-delà des normes habituelles. En prévision des longues périodes d’isolement dans les glaces, les navires transportaient aussi une bibliothèque de 1000 livres afin d’occuper l’équipage durant l’expédition.

Chaque membre de l’équipage de l’expédition Franklin avait été sélectionné avec soin pour embarquer à bord des navires de pointe que représentaient le HMS Erebus et le HMS Terror.

Ces vaisseaux possédaient des innovations remarquables et étaient particulièrement adaptés à l’exploration arctique. Leur premier atout résidait dans leur conception même : ils avaient été initialement construits comme des navires bombardiers capables de supporter d’énormes mortiers, ce qui nécessitait des coques fortement renforcées. Cette caractéristique les rendait particulièrement résistants à la pression des glaces.

Construits en 1813, les deux navires avaient connu un passé militaire, le Terror ayant notamment participé à la guerre de 1812. Après leur service militaire, ils furent transformés en navires d’exploration polaire, avec des modifications incluant le renforcement de leurs proues avec des plaques de fer et un doublement des membrures de bois derrière leurs coques.

L’une des innovations les plus impressionnantes fut l’ajout d’hélices à vis à vapeur, une technologie révolutionnaire utilisée pour la première fois six ans auparavant. Ces hélices rétractables et leurs chaudières à vapeur permettaient non seulement une propulsion efficace, mais aussi un système de chauffage interne sophistiqué diffusant la chaleur à travers tout le navire pour le confort de l’équipage.

L’Amirauté devait bien entendu choisir un chef d’expédition à la hauteur de cette mission. Bien qu’il ne fût pas son premier choix, elle trouva en Sir John Franklin un homme qualifié. Ce dernier n’en était pas à son premier voyage en Arctique, ayant exploré le nord du Canada dès 1818, ce qui lui donnait près de trente ans d’expérience dans la région.

Marin de carrière, Franklin naviguait depuis l’âge de quatorze ans, en 1800, et avait participé à plusieurs batailles célèbres, dont la première bataille de Copenhague et la légendaire bataille de Trafalgar. L’exploration de l’Arctique étant considérée comme une entreprise périlleuse et ingrate, plusieurs candidats initialement pressentis refusèrent le commandement de l’expédition avant que Franklin, alors âgé de 59 ans, ne soit finalement sélectionné pour mener ce voyage historique.

L’expédition perdue

L'équipage de l'expédition John Franklin 1845
Les officiers d’Erebus. Rangée du haut, de gauche à droite : Lt. Edward Couch (second) ; James Walter Fairholme ; Charles Hamilton Osmer (commissaire de bord) ; Charles Frederick Des Voeux (second). 2ème rangée en partant du haut, de gauche à droite : Francis Crozier (HMS Terror) ; Sir John Franklin ; James Fitzjames. 3e rangée, de gauche à droite : Graham Gore (commandant) ; Stephen Samuel Stanley (chirurgien) ; Sous-lieutenant Henry Thomas Dundas Le Vesconte. Rangée du bas de gauche à droite : Robert Orme Sergeant (1er lieutenant) ; James Reid (capitaine) ; Harry Duncan Goodsir (assistant chirurgien) ; Henry Foster Collins (2e capitaine), croquis d’après les daguerréotypes de Richard Beard – The Illustrated London News (1845).

Le matin du 19 mai 1845, l’expédition Franklin quitta le Kent, en direction de l’Arctique canadien. Deux mois plus tard, elle fut aperçue une dernière fois au large du Groenland, dans la baie de Baffin, par des baleiniers alors que le Terror et l’Erebus attendaient des vents et des conditions météorologiques favorables pour s’aventurer plus au nord.

Ce fut la dernière fois que les cent trente-quatre hommes furent vus vivants. Ce qui advint exactement de l’expédition Franklin demeure un mystère. Même après plus d’un siècle et demi, de nombreux détails restent incertains. Ce n’est qu’en 2014 que les épaves furent enfin découvertes, cent soixante-neuf ans après leur départ.

Inside HMS Terror

Il fallut attendre deux ans de silence avant que l’inquiétude ne pousse l’épouse de Franklin et certains membres du Parlement à réclamer une mission de secours. L’Amirauté, toutefois, tarda à réagir, évitant toute panique et estimant qu’une longue période sans nouvelles n’était pas inhabituelle dans l’Arctique, où les navires pouvaient rester prisonniers des glaces pendant de longs mois.

Au total, trois expéditions de secours furent envoyées, mais aucune ne permit de retrouver les navires. Ce n’est qu’après ces échecs répétés que la recherche de Franklin et de son équipage devint une véritable obsession nationale au Royaume-Uni.

Dès 1852, l’Arctique fut sillonné par un grand nombre de navires envoyés en quête de l’expédition Franklin. Ce qui avait commencé comme une simple opération de secours devint une recherche multinationale, au cours de laquelle plusieurs navires furent eux-mêmes abandonnés, pris au piège par les glaces.

Une récompense colossale de 20 000 £ (l’équivalent de plus de 3 millions de £ en 2024) fut offerte à quiconque retrouverait Franklin et son équipage, ce qui renforça encore les efforts de recherche. Parmi les navires ayant participé à ces expéditions figurait le HMS Resolute, qui fut abandonné dans les glaces avant d’être retrouvé par des baleiniers américains, puis renvoyé en Angleterre en signe de bonne volonté.

Ce bois du Resolute servit plus tard à la fabrication d’un bureau offert par la reine Élisabeth au président des États-Unis, qui reste aujourd’hui encore le bureau utilisé par le président en exercice dans le bureau Ovale.

Malgré l’intensité des recherches, seuls quelques campements utilisés par l’expédition Franklin furent découverts, sans que le sort de l’équipage ne soit pleinement élucidé.

Le destin du passage du Nord-Ouest

La note détaillant la tragédie de l'expédition Franklin
La note détaillant la tragédie de l’expédition Franklin, trouvée par Hobson de l’expédition McClintock en mai 1859 dans un cairn sur l’île du Roi-Guillaume.

Ce n’est qu’en 1859 que les premières preuves concluantes sur le sort de l’expédition Franklin furent découvertes, sous la forme de deux notes. La première indiquait que tout allait bien. Cependant, des annotations ultérieures révélaient qu’en avril 1848, les navires étaient prisonniers des glaces depuis un an et demi. Après la mort de vingt-quatre membres de l’équipage, dont Sir Franklin lui-même, les survivants, au nombre de cent cinq, abandonnèrent les navires immobilisés et se dirigèrent vers le sud, en direction du continent.

Ce ne fut pas la dernière trace retrouvée de l’expédition. Au fil des ans, d’autres missions mirent au jour de nouveaux indices et des restes de l’équipage. Grâce à la collaboration avec les Inuits locaux, les derniers lieux de repos des membres de l’expédition furent progressivement identifiés.

Comment les Inuits ont-ils contribué à résoudre le mystère ?

Les témoignages oraux inuits décrivirent des marins affamés, des tombes et même des actes de cannibalisme. L’explorateur écossais John Rae recueillit ces récits dans les années 1850, bien qu’ils aient été initialement rejetés par la société britannique.

Les recherches se poursuivirent bien après que le sort de l’équipage eut été révélé, chaque expédition apportant de nouvelles pièces au puzzle, y compris la localisation tant recherchée des épaves. Ironiquement, c’est grâce à ces recherches que l’Arctique canadien fut cartographié de manière approfondie et systématique. Pourtant, malgré toutes ces découvertes, il fallut attendre 1906 pour que le passage du Nord-Ouest soit enfin franchi par un navire, sous le commandement de Roald Amundsen.

À cette époque, il devint évident qu’aucun passage navigable de manière fiable et libre de glace toute l’année n’existait dans le Grand Nord canadien, mettant un terme au rêve qui avait poussé Franklin et tant d’autres à risquer leur vie.

L’expédition Franklin : un passage toujours vivant

Sépultures de l'île Beechey
Tombes de l’expédition Franklin de 1845 sur l’île Beechey. Source : Wikimedia.

Bien que l’histoire de ces hommes puisse sembler appartenir au passé, des événements récents leur ont redonné une place sur la scène internationale. L’augmentation des températures mondiales a entraîné une fonte de plus en plus régulière des glaces dans le nord canadien, ravivant l’intérêt mondial pour de potentielles routes maritimes arctiques. Afin d’affirmer sa souveraineté sur la région, le Canada lança plusieurs expéditions avec pour objectif de retrouver les navires disparus.

Quelles preuves suggèrent le cannibalisme ?

Des ossements retrouvés dans les années 1980 portaient des marques de découpe compatibles avec une extraction de moelle, confirmant les rapports de John Rae. Ces découvertes révélèrent l’extrême désespoir de l’équipage.

En 2014, le HMS Erebus fut découvert avec l’aide des Inuits locaux. Deux ans plus tard, le HMS Terror fut retrouvé, de manière ironique, dans la baie du Terror, nommée ainsi bien avant que l’on ne sache où reposait l’épave.

Bien que l’on sache depuis longtemps que les principales causes de la disparition de l’équipage de Franklin furent la maladie et la malnutrition, la découverte des épaves permit de tourner définitivement la page de cette expédition mythique. Pendant ce temps, l’Arctique qu’ils avaient tenté d’explorer s’ouvre désormais au reste du monde.

Questions/Réponses sur l’expédition Franklin

Qu’était l’expédition Franklin ?

L’expédition Franklin (1845–1848) était une mission britannique dirigée par Sir John Franklin pour cartographier le passage du Nord-Ouest, une route maritime reliant l’Atlantique au Pacifique via l’Arctique. Les navires HMS Erebus et HMS Terror disparurent avec leurs 129 hommes, déclenchant des décennies de recherches.

Pourquoi le passage du Nord-Ouest était-il important ?

Le passage du Nord-Ouest représentait un enjeu géopolitique et commercial majeur au XIXᵉ siècle. Les Britanniques espéraient établir une route plus courte vers l’Asie, rivalisant avec les voies traditionnelles contrôlées par d’autres puissances.

Que sont devenus les navires HMS Erebus et HMS Terror ?

Les navires, piégés par les glaces près de l’île du Roi-Guillaume en 1846, furent abandonnés en 1848. Le HMS Erebus fut retrouvé en 2014 et le HMS Terror en 2016, presque intacts, grâce aux technologies modernes et aux savoirs inuits.